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Le pouvoir spectaculaire du sport

Dans le livre « Le pouvoir du sport » (Marie-Cécile Naves, Julian Jappert – Editions fyp) les auteurs livrent une analyse passionnante à propos de l’emprise du sport sur notre monde moderne.

Une réflexion d’autant plus intéressante qu’il y a quelques décennies, on posait la question de façon radicalement inverse. Le sport n’était qu’une scorie dans le magma apoplectique de la folle marche des hommes.

 

De l’utilisation du sport à son état d’objet passionnel

Certes, nombre de nations se servaient depuis plus d’un siècle du sport et de  sportifs comme de pions, sur un échiquier planétaire aux places si disputées. Les « valeurs » du sport, au dévoiement progressif si précisément décrypté dans cet ouvrage, permettaient alors par exemple à l’Italie fasciste ou à l’Allemagne nazie d’organiser une Coupe du monde de football (1934) et des Jeux Olympiques (1936) dans le seul but de blanchir leur macabre régime.

Le spectacle du sport n’en était qu’à son prélude. Comme d’ailleurs son fonctionnement, on dirait son essence en philosophie. S’il ne fallait donner qu’une seule explication au phénoménal essor au XXe siècle de ce que Pierre de Coubertin nommait « culte volontaire et habituel de l’effort musculaire intensif appuyé sur le désir de progrès pouvant aller jusqu’au risque« , on se risquerait justement à ne retenir que ce qui définit le sport comme un spectacle.

Pourquoi une définition si restrictive ? Tout concourt en sport vers le spectacle (selon le dictionnaire Littré : « ce qui se présente au regard, (…) qui attire l’attention et/ou éveille des réactions ») et, partant, vers le phénomène médiatique. Curieusement, à l’exact opposé de ce qu’en désirait son « inventeur » moderne, qui supportait à peine l’obscénité des tribunes de stades. L’effort était selon lui un accomplissement individuel qui devait contribuer à l’amélioration du genre humain, mais pas sous les yeux d’un « bloc hideux » (les tribunes).

Le sport est aujourd’hui l’objet de passions qui poussent mécaniquement les humains à s’y intéresser. Davantage désormais qu’à d’autres domaines, le travail, l’étude, l’Art, le cinéma… L’image du sport s’est presque naturellement imposée dans les années d’après seconde guerre mondiale. De par sa variété, son incertitude puis son inépuisable amélioration technique, l’image, principalement télévisuelle, a cristallisé l’émotion collective.

 

Échapper au monde avec le sport

Le plus surprenant c’est que l’activité physique, non compétitive, pratiquée pour ce qu’on appelait déjà le « bien-être » lors de la montée de la civilisation industrielle, et de nos jours pour l’entretien et l’affermissement de la forme physique voire mentale, se doit d’être de plus en plus spectaculaire. Qui ne court, ou soulève ou gesticule pour apparaître plus élancé, mince ou « sportif » !

Mais qu’est-ce qui peut donc faire du sport un spectacle si attirant, si puissant, et sans doute si aliénant ?

Plus de secret, c’est bien l’émotion. L’émotion nous est, en ce XXIe siècle de la Communication, commandée de toutes parts. On trime, on paie pour en obtenir. Que demandaient les populations du monde en juillet dernier en suivant la Coupe du monde de foot ? Tout simplement se laisser aller à leurs pulsions : « La place du jeu, écrit Georges Vigarello, donne lieu à des pulsions qui ailleurs ne pourraient s’exprimer ».

Et, en conséquence, le sport offre à l’homme une perception des choses qu’il ne ressent sans doute pas pour autre chose. Une autre définition en somme de l’opium du peuple.

S’ajoutent bien entendu les caractéristiques si spécifiques au sport-spectacle que je détaille dans un de mes cours, l’incertitude et l’esthétique, cette dernière si propre à chacun.

C’est sans doute la sportivisation de notre humanité à laquelle nous ne pouvons plus, pour l’instant, échapper…

 

 

 

Le foot rend-il (très) con ?

En jetant comme d’habitude un œil à l’actu sportive du moment, on ne prend plus même la peine d’y réfléchir plus loin que le bout d’une synapse. On hausse un sourcil, on soupire, on zappe. Tout devient binaire. C’est 0 ou 1, c’est oui ou c’est non, c’est cool ou c’est pourri.

Dans la Bible du jour (le journal du sport) j’apprends que notre Ligue 1 vaudra très vite 1,5 milliard d’euros par an (contre 578 millions aujourd’hui). C’est un fait acquis que depuis Canal Plus qui avait eu l’audace, la folie, en 1984, de faire des chèques de 100.000 francs par match de D1 à la Ligue, le ballon rond est une marchandise toujours plus chère. En dehors de deux ou trois fondus de l’explication rationnelle de l’irrationalité comme moi, personne ne se demande pourquoi. Comment ? On s’en doute davantage.

Si le Qatar débourse pour Neymar 222 millions d’euros, Facebook ou Google, qui ont avec l’expansion démographique mondiale des potentialités bien supérieures qu’un émirat qui n’aura plus de gaz dans trente ans, peuvent bien engager des sommes, comme ça, pour voir, que leurs actions en bourse leur permet d’étaler très vite sur la table.

Le tout est quand même de se demander si le foot, et plus particulièrement une saison de Ligue 1, en vaut la chandelle. Mais mon bon Monsieur, vous répondront les économistes époustouflés par une si débile question, c’est que le foot c’est du spectacle, de l’émotion, et de nos jours c’est du people, du réseau social, du maillot en boutique, de la femme de footballeur, du tatouage à la pelle, du rap, de l’affaire sexuelle en veux-tu en-voilà, et bien davantage encore. Et la rentabilité, ajoutent-ils dans un râle de dénigrement, ça n’est pas la question. Il faut faire le buzz. Et du moment qu’un Neymar ou un Mbappé font de l’audience le dimanche soir, on peut ne pas se soucier du Guingamp-Troyes de la veille.

Dans un autre genre, l’actu de ce 12 octobre 2017 tourne autour de l‘indigence présumée de nos Bleus qui iront pourtant en Russie l’été prochain voir si Poutine est enfin bien luné. Et comme nous sommes aussi abrutis que d’habitude, les Newton et Tocqueville de l’analyse post moderne nous livrent leurs avis. « Le jeu doit être meilleur avec ou sans ballon » lance l’un, « On doit pouvoir aller dans le dernier carré » prédit l’autre. Le carré magique de l’hypoténuse sans doute.

Mon avis à moi, ma bonne dame, c’est que d’ici-là et au prix où est l’iPhone 10, il faut s’attendre à ce que Apple ou les autres vendeurs de bonheur en numérique nous farcissent encore de quoi ne jamais faire travailler nos neurones.

La firme du regretté Steve Jobs devrait du reste s’intéresser à la technologie réelle, utile, efficiente. Et d’installer des applis de goal line technology au Panama, qui s’est qualifié aux dépens des Etats-Unis en inscrivant un but lors de l’ultime journée des éliminatoires alors que le ballon n’avait pas franchi la ligne. Lors d’un match arbitré, mon bon Monsieur et ma bonne Dame, par un Guatémaltèque. Inutile de réfléchir plus longtemps à ce qu’en aurait dit Thierry Roland

Monaco tendance !

Les Monégasques ont chaque jour davantage tout pour plaire. A leur casino, leur douceur balnéaire, leur très chic Grand Prix en ville, leurs princes et princesses, leur incomparable (inexistante) fiscalité et leurs appartements ensoleillés avec vue sur port et yachts, il ajoutent désormais leur séduisante équipe de foot.

Paris en crèverait presque de rage. Avec un demi-milliard d’euros de budget, le PSG court cette saison après ces « pauvres » Monégasques, au budget trois fois moindre, mais qui le devancent en Championnat et qui ont su, eux, réussir des prouesses aux quatre coins de l’Europe.

Le Rocher devient tendance. Comme le stade Louis II auquel on finit par trouver des charmes insoupçonnés de chalet tranquille mais très efficace contre les avalanches sportives (Barcelone et autres plus menus désastres). La Tour Eiffel passerait presque pour un objet de décoration has been. De surcroît, les joueurs de la Principauté sont remarquables et sympatoches. Certains sont même – oui c’est incroyable – français !

Et on se demande maintenant si Dmitry Rybolovlev, le multi-milliardaire russe, ne joue pas tout seul plus habilement du football qu’un multi-milliardaire Etat du Golfe, pourtant désormais rompu à toutes sortes de joutes économiques, sportives et d’influences. La réponse est dans la question. Ce roi du potassium et de l’oligarchie Poutinienne a sans doute autant dépensé de roubles, de dollars et d’euros que ses rivaux moyen-orientaux mais il a su bien mieux tirer profit du contexte local.

Monaco file droit vers les demi-finales de la Ligue des Champions, emmené par un attaquant dont on n’avait pas admiré chez nous autant de qualités de vitesse et d’habileté réunies depuis des lustres. Le jeune Mbappé, 18 ans et très majeur talent, dribble moins mais aux meilleurs moments que Verratti et marque moins mais aux meilleurs moments que Cavani. Cette loi s’applique en gros à tous ses camarades.

Et un plus petit Prince que celui de l’Emirat se réjouit enfin qu’on ne le brocarde plus à propos d’un Etat où les footballeurs venaient depuis trois quarts de siècle toucher sans effort les plus rémunérateurs congés payés du monde.

 

Bras et droits d’honneur

« C’est un peu court jeune homme »…

Cyrano n’est pas Pogba et vice et versa. Dans la ligne droite des comportements aussi niais que stupides de nos petits héros du football, il s’est encore produit ce mercredi d’Euro 2016 et de France-Albanie une scène digne de notre théâtre tragi-médiatico-comique du 21e siècle sportif.

L’affaire, c’en est une nouvelle, fait grand bruit. L’idole des jeunes footballeurs en herbe et des coiffeurs en vogue s’est autorisé pour célébrer sa joie et son soulagement du but de la victoire, inscrit par Dimitri Payet (2-0), de recouvrir par sa main gauche, en pleine course et le visage rageur, le biceps de son bras droit plié et relevé.

 

La capture d’écran du geste controversé, provenant du circuit intérieur de l’UEFA et extraite d’une video provenant d’une caméra isolée, a seulement été publiée le lendemain.

Ni une ni deux, le petit monde de la grande presse du 2.0 puis celle, en désuétude du papier, sont montés sur leur grands chevaux. A justes gros titres puisque les souvenirs des grossiers sieurs Dugarry, Anelka (dont la réaction sur l’affaire Pogba ajoute encore à son sens aigu de l’analyse de l’évolution du monde !) ou Nasri, entre quelques autres, leur revenaient en pleine surface.

Un peu courtes donc, ensuite, les explications de l’intéressé qui s’est justifié en précisant par communiqué qu’il n’avait fait qu’exécuter à l’adresse de ses parents et amis en tribune un mouvement de danse et de sarabande dont il serait un habitué. Et pourquoi pas un majeur tendu vers le ciel qui aurait signifié qu’il s’était cassé un ongle…

Soit, décrypter n’est pas si simple. D’ailleurs la chaîne cryptée BeinSport, propriétaire des droits de l’épreuve et par là-même gardienne de l’image positive des Bleus et de la bienséance, a parfaitement brouillé elle aussi son message, sommant par mail ses salariés de ne pas diffuser les images du garnement. La RTBF, neutre, s’est, elle, fait une joie de le faire et d’exhumer le document gênant.

Video bras d’honneur Pogba

Même si l’on n’est pas un expert des danses modernes, il ne faudrait pas prendre tous les observateurs pour des bigleux décérébrés. Paul Pogba danse mieux qu’eux, c’est certain, mais il sait mieux aussi qu’il venait de faire l’objet d’une campagne certes pas non plus subtile visant ses performances récentes en Bleu peu en rapport avec son talent, et que sa place sur le banc au début du match l’avait très vraisemblablement vexé au plus profond de lui-même. Plutôt que de réagir avec ses pieds, c’est à cette presse, éternelle et commode coupable, que le Turinois a très manifestement exprimé de ses bras son ressentiment.

Il apparaît donc, comme le nez immense au milieu de la figure de Cyrano, que le boniment du parfois génial Pogba est flagrant. Et que – vain souhait sans doute – l’Histoire, y compris celle du football, devrait être apprise et retenue surtout par les footballeurs. On ne parle point même de littérature mais, en citant encore la fin de la tirade du héros d’Edmond Rostand, on peut qualifier le conte de la nouvelle brebis égarée :  « sot ! »

Blatter, le Prince, Machiavel et la FIFA

Dans dix ans, dans cent ou plus, on étudiera son oeuvre et son règne dans les universités numériques et les anthologies de l’art de gouverner. Joseph Blatter a, c’est certain, lu, relu, retenu, appliqué si bien les leçons du concepteur de la tactique politique, qu’il en est peut-être le seul et unique dépositaire.

Mieux que Talleyrand, Metternich, Bismarck ou autres quelques bons mauvais génies un peu plus modernes, cette fois du sport, comme Juan Antonio Samaranch, Joseph Blatter aura incarné une organisation du football qu’il a durant dix-sept ans magistralement géré dans la ruse, la duperie, les apparences et surtout la lucidité. Toutes vertus que Nicolas Machiavel avait conseillé de développer aux futurs dirigeants du monde il y a exactement cinq cent ans…

Le plus sublime dans la vraie fausse démission (on ne sait pas trop quand elle sera effective) de son poste de président de la FIFA ce mardi 2 juin 2015 du plus fieffé renard de l’histoire du sport mondial, c’est qu’il n’a bien entendu rien reconnu de ses actes délictueux. Ni répondu puisqu’ils n’existent pas selon lui. En tant que parfait disciple de Machiavel, il ne dit jamais « je » ni « moi je », sauf naturellement lorsque il se gonfle du col pour réaffirmer les bienfaits qu’il aurait prodigués à toutes les fédérations du sport le plus populaire du monde.

Blatter et le « milieu » de terrain !

Comme l’a écrit Machiavel, le prince doit à tout prix éviter « la haine du peuple… pour le satisfaire et le tenir content ». Monsieur Jo n’avait pourtant que faire du peuple du football. Mais il est aujourd’hui la cible du milieu, de son milieu, celui de la secte de la FIFA, de ses membres, dont il ne pouvait plus tenir les rênes pourries par la corruption, les attributions truquées, les marchés véreux et les prébendes.

Ce milieu l’a lâché sans doute, il l’a avoué aujourd’hui dans une conférence de presse plus Blatterienne que jamais, avec son cortège de vérités dorées de mensonges et messages standardisés (la « transparence », « mon souci c’est le football »… blablabla) plus gros encore que le magot de dix millions de dollars de pots de vin versés par son secrétaire général, Jérôme Valcke, au mafieux Jack Warner pour favoriser des votes d’attribution à des Coupes du monde.

Sepp Blatter affirme qu’il va désormais d’ici son départ, c’est à dire à la saint glinglin, se consacrer en quelque sorte à laver et purifier une organisation vermoulue du sol au plafond. La bonne blague suisse ! Il va évidemment profiter de son temps restant pour faire disparaître ou falsifier un maximum de documents pouvant le compromettre directement, comme tous les princes forcés à la fuite ou l’exil.

Le guide de Machiavel aux princes, celui qui leur indique les moyens de garder le pouvoir, devrait encore servir…