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Federer, pour l’exemple

A trente-trois ans, on l’attend toujours un peu partout comme le prophète. Pas du genre période romaine mais plutôt façon helvétique. Il ne fait donc pas à l’instar de beaucoup, le malin, Roger Federer. Il fait son job depuis une décennie. Et dans son domaine, le tennis, c’est lui qui le fait le mieux. Il le fait même à la perfection.

A se demander si il ne faudrait pas qu’il ouvre une école, un institut, une académie, de cette perfection au masculin que nous autres, pauvres hommes et pauvres diables que nous sommes, nous recherchons depuis un certain faiseur de miracles, exemple de cet idéal perdu.

La preuve de cette possible filiation avec le barbu et chevelu de l’époque romaine, c’est que lui aussi, Roger, pourtant coiffé comme un empereur et toujours rasé de près, des miracles il en produit aussi, au même âge que l’autre. Cette semaine, en terre chinoise, il en a encore sorti cinq d’un coup de son sac à raquettes.

Autant de balles de match sauvées contre  Leonardo Mayer, un fidèle latin qui pensait avoir gagné son pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle et qui en a pleuré de désespoir en serrant la main de son vainqueur.

Le Suisse a ensuite fait son boulot habituel. C’est à dire la concoction d’un jeu que l’on voit chez les autres humains lorsqu’ils sont une fois ou deux dans leur carrière en état de grâce ou celui que les mômes réalisent dans les jeux video. Un match dénué de la moindre scorie de style et de faute face au numéro un mondial Djokovic et une finale exemplaire contre Simon.

Le credo de Roger, pas de gourou et des bons apôtres

Le plus drôle, c’est que cet homme contredit et casse, comme son congénère du temps de Ponce Pilate, les codes de son époque. Ni grossier ou vulgaire, ni crâneur ou hâbleur. Et, pour en revenir à son secteur, le sport actuel farci d’entourages pléthoriques et de personnages interlopes, Federer ne s’offre pas de gourou au verbe alambiqué ou fournisseur d’alambics. Il demande juste conseil à Stefan Edberg, lui-même ancien prince de la volée et de l’exemple du fair-play sur les courts.

Ses apôtres actuels, autrement dit et entre autres disciples les bonnes mères de familles et les fanatiques du revers à une main, le suivent à Shanghai et ailleurs. On le précède et accompagne partout de pancartes sur lesquelles sont le plus souvent inscrites le mot de génie. On devrait sans doute y adjoindre celui d’exemple, à suivre bien entendu.

Roland-Garros : C’est urgent, il nous faut un nouveau Noah

Ras le short maintenant. Trente ans c’est trop long. C’est même inexplicable cette effrayante période de pénurie de champion français de tennis. Oui, qu’on nous explique une bonne fois pour toutes pourquoi Yannick Noah a été le dernier. Pourquoi tous les Leconte, Forget, Pioline et autres Boetsch ou Monfils sans parler de Gasquet ont tous échoué à lui succéder au palmarès de Roland-Garros.

Franchement, je crois qu’il y a un problème. On s’est trompé quelque part mais on ne veut pas nous en donner les raisons. Car c’est un drôle d’échec ce truc-là. On se voile la face et on se cache derrière les manches de raquette.

Depuis Noah, des masses de champions étrangers sont venus nous narguer, tout revers lifté ou passing gagnant dehors, et pas un Français n’est venu les titiller. Alors que notre Fédération est l’une des trois plus puissantes du monde. Et que notre antique nouveau stade de la Porte d’Auteuil est l’un des trois plus beaux de la planète, grâce à l’incroyable boulot réalisé il y a justement trois décennies par Philippe Chatrier dont le Central porte heureusement le nom.

La réalité est j’en suis convaincue tout autre. Ce n’est pas que l’on ne désire pas de vainqueur tricolore de Roland-Garros. Mais si on ne l’a pas pu, c’est parce qu’on ne l’a pas voulu… Nos édiles et membres de la Fédération n’ont cherché qu’à empiler les bénéfices et les prébendes. Ils y ont réussi. Bravo. Mais un Français vainqueur, ça ils ne l’ont pas voulu et évidemment pas obtenu. Ils se battent en permanence pour des présidences de région ou des places de sous-DTN mais pour dénicher et former un nouveau Noah, nenni !

Qu’on ne me dise pas que les Français n’ont pas de talent ou d’envie ou de chou. Ils n’en ont eu ni plus ni moins que les autres. Roger Federer était dans ses jeunes années un casseur de raquettes plutôt écervelé. Il est devenu le plus grand tennisman de tous les temps. On l’a aidé. Rafael Nadal n’a cessé de progresser depuis son premier sacre, en revers, au service, à la volée… On l’a canalisé, on l’a mis en condition.

Si Tsonga gagne Roland-Garros cette année, ce sera son triomphe à lui, comme Noah…

On nous dit aujourd’hui que Jo-Wilfried Tsonga est possiblement un Noah du XXIe siècle. J’y crois sans y croire. S’il réussit cette année je serai le plus heureux après lui. Car ce sera; c’est certain, exclusivement ou presque grâce à son seul mérite. Comme Yannick qui l’avait décidé j’en suis aussi certain, absolument seul. Par une volonté hors du commun. Et ce fut une sorte de miracle de cette volonté comme il n’en existe que peu, très peu.

S’il ne réussit pas ce 9 juin, qu’on lui donne les moyens à Jo pour atteindre son maximum, qu’il n’a pas atteint. Parce que aujourd’hui, croyez-vous que Nadal, Djokovic ou Federer sont ce qu’il sont sans les véritables entreprises qui les entourent et accompagnent partout ? On les applaudit partout ces gars-là. Les jeunes les adorent. Pas les Français.

Oui qu’un Français gagne Roland-Garros, c’est urgent.

Djokovic et Suarez, les « nouveaux nouveaux » monstres…

Il y a du neuf dans le vieux monde du sport. Du neuf, parce qu’on pensait avoir tout vu au royaume d’Albert et de Charlène et dans celui de son infiniment gracieuse Majesté.

Rafael Nadal trônait depuis huit ans avec une supériorité de dieu vivant ou plus exactement d’extra-terrestre sur le Rocher monégasque. Nul être en short et chemisette ne l’avait menacé. A peine lui avait-on chatouillé son trident à une ou deux reprises et menacé de balles à blanc. On s’y était brûlé sa raquette à tout coup et pris en retour des balles réelles.

Le sieur Djokovic vient de le lui arracher et de s’emparer du pouvoir sur terre. La terre battue. Nouveau royaume du Serbe dont on savait, depuis qu’il régnait sur les autres surfaces, que l’affaire devenait dangereuse pour Rafa, pourtant seigneur et maître de l’ocre revêtement, à Roquebrune Cap-Martin et partout ailleurs dans le monde.

Djoko progresse encore, et c’est incroyable car cela ne s’arrête plus, de mois en mois et d’année en année. Il commence même à mériter le qualificatif employé à tout bout de champ, y compris pour un rien, mais qu’il faut aujourd’hui lui accoler. Celui de monstre. Non, il n’a plus peur de rien, Nole. Il veut manger tout et tout le monde. Il dévore et ne semble plus même se rassasier. Après Nadal le nouveau monstre succédant lui-même à Federer le cannibale, il est le « nouveau nouveau » monstre du tennis. Et du sport tout entier peut-être.

En général, lors d’une passation de pouvoirs, le champion est en régression parce qu’il finit par être repu. Ce dimanche, Nadal, dchez qui on n’a pas vraiment décelé ses fameuses mollesses aux genoux – n’avait sans doute jamais été aussi fort. Mais Djokovic avait encore plus faim. Un appétit d’insatiable mangeur de palmarès, se nourrissant – et ça commence à faire trembler d’effroi – de l’énergie de ses adversaires, pour ne pas dire de leur sang…

Suarez, El Loco de plus en plus fou…

A Liverpool, ce même dimanche, le carnassier Luis Suarez est réapparu. Tel qu’il est. En animal des terrains. Il a comme à l’habitude fait le loup et la hyène. Un spectacle de zoo humain. Affolant et probablement inédit dans ce quasi-antique spectacle que devient parfois le jeu du cirque moderne. Mike Tyson avait mordu jusqu’au sang Ewander Holyfield deux fois lors d’un championnat du monde de boxe où l’ainé des deux bêtes avait laissé quelques décigrammes de son oreille sur le ring. Mais c’était, sans que ce soit une excuse, du sport de combat, de contact physique, où l’on meurtrit par définition la peau et les os de son ennemi.

Dans une activité a priori plus paisible, Suarez, lui, a mordu Ivanovic, le défenseur de Chelsea qui, il est vrai, lui cassait un peu les pieds depuis le début du match. L’Uruguayen, qui en dehors de cette nouvelle sordide manie, est raciste et fier de l’être, avait probablement développé sa rage en étant à l’origine du but sur penalty qui avait fait prendre l’avantage à Chelsea, en commettant une main dans sa propre surface.

Manifestement ce fou du ballon tire son énergie de tout ce qu’il peut. De sa tête, que l’on n’est pas parvenu à scanner, et partout de ce qu’il aime, et davantage encore de ce qu’il n’aime pas. Patrice Evra en sait quelque chose, lui qui n’a pu extirper des excuses de Suarez, pourtant officiellement auteur d’un « sale nègre » à son encontre de la part d’El « Loco ».

Le soir même de ces deux épouvantables et terrifiants événements, on s’était calmé sur les terrains. L’adorable Civelli déposait un bisou chou calinou dans le cou du doux Zlatanou Ibrahimovic… Alors, et la tendresse bordel !

Djokovic, tueur de balles de match

C’est le rêve des petits et des grands. Sauver une balle de match, sur un court paumé ou devant quinze mille spectateurs, et gagner. On dit bien « sauver », car on se sauve un peu de l’enfer quand on ne l’a pas perdu, ce fameux dernier échange qui ne l’est plus.

Il y a toute une légende autour de ces points fameux. On s’en souvient d’une douzaine mémorables dans l’histoire du jeu, certains remontant presque aux calendes grecques et dont on paierait cher pour qu’une caméra les ait conservés. Comme les trois de Robert Haillet contre Budge Batty à 0-5 et 0-40 dans un 5e set à Roland-Garros en 1958, ou les trois de Suzanne Lenglen contre Helen Wills à Cannes en 1926 lors du « match du siècle ». De l’Histoire à l’état pur, du tennis qui n’est que dans les livres.

Aujourd’hui, pauvres de nous, une balle de match sauvée par un de nos héros modernes est vue et revue, décortiquée en dizaines de ralentis et son charme s’évanouit au rythme de cette litanie numérique. Novak Djokovic, tiens, en a sauvé cinq ce dimanche à Shangaï. Avant évidemment de renverser définitivement le pauvre Andy Murray une heure plus tard. Ca commence à devenir une sacrée habitude chez lui. Il y en avait eu quatre contre Tsonga à Roland-Garros cette année déjà, et deux contre le roi Federer en 2011, qui faisaient elles-même suite à une autre face au même Suisse l’année précédente.

Il choisit bien ses moments, Djoko, comme par un hasard de champion qui ne fait rien par hasard. Surtout pas d’être petit bras au mauvais moment. Comme pour ce retour de dingue en demi-finale de l’US Open à 40-15 pour Roger qui servait pour deux balles de finale… A Shangaï donc, cinq fois, Djoko ne s’est pas énervé à l’instant crucial. En face, pourtant, l’Ecossais était sans doute le plus fort, techniquement, tactiquement et tout et tout, sortant d’une campagne estivale hallucinante, une finale à Wimbledon, le titre aux JO et à l’US Open en série. Une confiance d’éléphant partant au bain.

Panatta et ses « belles de match »

Mais le Serbe fait sans doute partie d’une espèce encore différente. Dans l’époque moderne, on n’en a rencontré que très peu, et encore, ne lui arrivant peut-être pourtant pas tout à fait à la cheville. Adriano Panatta, le bel Italien toujours bien bronzé et qui remettait systématiquement sa mèche pour les beaux yeux des filles des premiers rangs, avait adopté la méthode la plus usitée pendant un siècle pour écarter des balles de match, la montée au filet. Dans n’importe quelles conditions, en slip ou avec gilet pare-balles, sa volée de magicien faisant le reste.

Un été de 1976, le truc avait marché onze fois à Rome et une autre à Roland-Garros contre le dénommé et oublié Hutka, et l’homme aux « belles de match » avait au finish récolté les deux plus beaux lauriers de sa carrière. On lui avait sûrement dit à Adriano que le meilleur moyen dans ce genre de situation, c’était de ne pas trop chercher à comprendre, et qu’il fallait alors contraindre l’adversaire au coup le plus difficile, le passing shot… Hutka l’avait d’ailleurs réussi ce passing. Sans doute un peu faiblard parce que Panatta avait trouvé une parade nouvelle, le plongeon sur terre, et vaincu le destin contraire.

Mais ça c’était à l’époque… Celle où les joueurs n’étaient pas tous plus ou moins en acier trempé. Donc, Djokovic a ajouté la technique mentale à son incroyable physique et accessoirement à sa technique. Dès que la mort sportive s’avance, il la toise et décortique ce moment un peu désagréable. Ce n’est plus le ciel qu’il invoque mais sa tête qu’il a accoutumée à ces secondes psychologiquement délicates. Une concentration redoublée ou décuplée je ne sais pas, des coups ajustés au rasoir, travaillés des milliers d’heures à l’entrainement. Plus même besoin de la pincée de réussite ou du bon dieu de la raquette.

Et Djokovic ne risque même jamais sa chemisette sur ces balles de match. Il ne monte pas forcément, mais seulement quand l’autre est en train de céder à l’échange dont il accélère progressivement la cadence. Une sorte de rouleau compresseur des balles de mort. Oui, Novak est bien le nouveau bourreau de ce siècle. Dès qu’il va mourir, il tue.

Murray, fils de Lendl

Les chiens ne font pas des chats. C’est une certitude, la mienne en tout cas, il y a huit mois Ivan Lendl a reconnu en Andy Murray son fils naturel. Une tête de lard, comme lui, un loser comme lui pendant une demi-carrière et un garçon comme lui bourré de contrariétés ou d’inhibitions comme on dit dans les émissions à la mode ou dans les salons des psys.

Et puis, Lendl, à plus de cinquante ans, a peut-être eu aussi cette envie irrépressible de parler enfin à quelqu’un. Depuis vingt ans, il ne s’adressait plus qu’à ses clébars, des épouvantables molosses de film de Tarantino, dans sa propriété de retraité cossu et fainéant à Los Angeles. Le plus drôle, c’est qu’il ne lui adresse sans doute pas beaucoup plus la parole à son nouveau protégé, depuis neuf mois qu’il est son coach.

Parce que tout bêtement, Murray n’en ressent pas le besoin. Entre mauvais communicants on se comprend à demi-mots. Et entre père et fils, on se contente de signes et du seul atavisme pour fonctionner sans langage. Tellement de ressemblances, de points communs entre ces deux surdoués et si souvent incompris, mais surtout affreux jojos des courts. Des perdants magnifiques des années durant, si acharnés dans leur quête de vains triomphes que les foules ont fini par les moquer, les siffler, pour cette incapacité justement à y parvenir.

Lendl a enfin transmis son secret

Et puis cette identité de comportement, leur côté paranoïaque, leurs attitudes de perpétuels mauvais coucheurs. Ce don chez Lendl, longtemps apatride après avoir renié son pays la Tchécoslovaquie avant de trouver refuge puis carte verte aux Etats-Unis, pour l’inimitié. Et de s’attirer inlassablement les foudres de ses adversaires qu’il toisait, visait de ses passing-shots entre les yeux ou à qui il refusait simplement de serrer la main. Le don aussi singulier chez l’Ecossais de trouver son carburant dans des mimiques de comédien de série B ou dans des interminables et irritants numéros de martyr crucifié pour de prétendues blessures, voire de maladie mortelle déclarée en plein match…

Le « chicken » comme l’avait appelé Jimmy Connors s’était transformé en cannibale un beau dimanche de juin 1984 sur le Central de Roland-Garros. Et on n’avait jamais su trop pourquoi… Pourquoi et comment il avait réduit le génie de John McEnroe à néant sur une ou deux balles du troisième set alors que Big John avait remporté les deux premiers, les deux plus sublimes de l’histoire du jeu… Lendl, lui, le savait. Il s’est senti obligé de transmettre son secret à quelqu’un. Pas trop fort.

Murray a juste capté ce moment magique de son nouveau mentor, en a tiré une substantifique onde de victoire. Et a lui aussi gagné. Enfin. Après, comme Ivan, quatre échecs en finale de Grand Chelem. Avec sans ou peu de paroles.