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Ce 2 juin 1921 où Paris obtint « sobrement » les Jeux Olympiques de 1924

Au début du XXe siècle, ne l’oublions pas, l’information circulait encore et toujours grâce à l’inventif et précieux Gutenberg. Et un événement se propageait à la vitesse de fabrication et de distribution des journaux.

La hiérarchie – comme on se le rabâche encore et toujours dans les rédactions – de cette information se faisait en fonction des prédilections et modes de l’époque.

Le jeudi 2 juin 1921, le CIO (ou COI, on plaçait souvent le Olympique avant l’International) réuni en Suisse lors de son XIXe conclave (session) plénier, décidait d’un sort que nos médias d’aujourd’hui se seraient damnés pour vendre à leurs auditeurs, téléspectateurs, internautes : la désignation officielle de Paris pour organiser les Jeux Olympiques de 1924. Une double désignation en fait (tiens tiens !) puisque Amsterdam gagne en même temps ce privilège pour 1928.

Le vendredi 3 juin 1921, rien sur ce choix capital, absolument que dalle dans la presse française pourtant foisonnante (des dizaines de quotidiens dans les kiosques chaque jour).

36 heures après son officialisation, la désignation de Paris ville olympique passe presque inaperçue !

Le samedi 4 juin, ce qui, pour l’exacte et même décision 96 ans plus tard, fera les unes de tous les organes d’actu en France pour Paris 2024, l’événement passait presque inaperçu. L’Excelsior, le « journal en images » annonce, perdu en page 4, que « les jeux olympiques de 1924 auront lieu à Paris« . Vingt petites lignes sur une seule des sept colonnes disponibles sont consacrées au vote « décidé, hier, par 16 voix contre 4 » par « le comité olympique international siégeant à Lausanne« .

L'Excelsior 4 juin 1921 Les Jeux Olympiques de 1924 auront lieu à Paris
L’Excelsior du 4 juin 1921 : « Les Jeux Olympiques de 1924 auront lieu à Paris »

L’Excelsior précise laconiquement que : « le conseil municipal (de Paris bien sûr) a l’intention de faire construire un stade digne de recevoir les athlètes du monde entier à la porte de Versailles. Un crédit de vingt millions serait affecté à l’établissement de ce stade dont les plans sont déjà établis et qui comprendrait trois terrains distincts : pour le football, l’athlétisme et, la natation. »

On comprend un peu mieux grâce à l’article du Figaro, publié le même jour, pourquoi ce décalage d’une journée : « Le Comité International Olympique a tenu dans la nuit de jeudi à vendredi une séance terminée à 2 heures du matin pour arriver à désigner la nation qui aurait l’honneur et la charge d’organiser en 1924 la VIIIe Olympiade. » Quelle idée de dévoiler un scoop pareil en pleine nuit ! Aucun esprit d’accommodement avec la presse du matin.

Le Figaro 4 juin 1921 Les VIIIe jeux olympiques se tiendront à Paris en 1924
Le Figaro du 4 juin 1921

Cette fois, en première page, mais toujours sur une seule colonne, la dernière sur la droite, l’auteur de l’article explique que Paris a décroché la lune en quelque sorte par le seul fait du Prince, c’est à dire du rénovateur des Jeux en personne : « je suis certain que l’appui de M. Pierre de Goubertin, président du C.I.O. qui avait formellement déclaré vouloir demander à ses collègues de voter pour la France a été d’un grand poids dans l’heureuse décision qui est intervenue« .

Paris en 1921 était certes déjà Paris, avec sa Tour Eiffel et ses petites femmes. Mais le sport n’était pas le sport. Les Jeux Olympiques non plus. Deux ans et demi à peine après la fin du conflit qui a fait en France un million sept cent mille morts et plus de quatre millions de blessés de guerre, on ne s’embrase pas pour si peu et si futile, même si certains avaient déjà poussé à la candidature de Paris pour 1924. Les titres sont généralement réservés à toutes les étincelles susceptibles de raviver les tensions entre France et Allemagne.

Le titre le plus dithyrambique de la presse : « Une bonne nouvelle »…

Dans La Presse, toujours le 4 juin naturellement, le quotidien où Victor Hugo avait jadis collaboré, on se félicite de ce qui est annoncé en titre sur deux colonnes, en page 3 quand même, par « Une bonne nouvelle«  : « il serait juste de rendre ici un hommage public à notre Comité Olympique (présidé par le Comte de Clary) pour son travail préparatoire« . On note en outre que le journal indique en sous-titre que ce Comité s’est réuni à Genève…

« La bonne nouvelle » dans La Presse du 4 juin 1921

Comparons avec la presse de 2017 :

La Une de l’Equipe le 1er août, et sa « sobriété… :

Et encore ! Le choix de Paris en 2024 est un secret de polichinelle depuis juin, où Los Angeles et la capitale française se sont entendus avec le CIO pour une double attribution 2024-2028.

La Une de l’Auto, l’ancêtre de L’Equipe, le 4 juin 1921 :

Ce que Paris 2024 ne devra pas copier de Paris 1924

Ô tempora ô mores, se plaignait le latiniste distingué. Les temps changent, les mœurs demeurent souvent. Les Jeux Olympiques ont de toute époque fabriqué du bon et du moins bon, du vrai et du fallacieux…

On conspirait énormément pour espérer gagner un droit formidable…

Il y a cent ans, le système de désignation de la ville-hôte des Jeux ressemblait assez à celui d’aujourd’hui. On conspirait énormément pour espérer gagner un droit formidable, celui de devenir tous les 1.460 jours l’Olympie des temps modernes.

Notre baron de Coubertin, qui avait créé le Comité international olympique (CIO) trente ans plus tôt, et qu’il dirige encore d’une main de fer dans un gant de velours, fait des pieds et des mains pour que Paris ré-accueille, après 1900, son enfant prodigieux. En juin 1921, c’est chose faite en vue de l’été 1924 malgré une opposition interne farouche. Il arrache de son cénacle la décision mais il sent qu’il n’a plus le vent en poupe et promet qu’il se démettra de sa fonction l’année suivante.

Un certain sieur Paul Pelisse présente avec force arguments les justifications des sommes qui seront engagées pour les Jeux de 1924

Au sénat, le 7 juillet 1922, un certain sieur Paul Pelisse, rapporteur de la loi nouvellement votée sur les crédits des futurs JO, présente avec force arguments les justifications des sommes qui seront engagées par l’Etat, c’est à dire vingt millions de francs de l’époque. Il ne manque pas de déplorer en termes polis l’abandon récent des dix millions promis par la ville de Paris, qui ne veut plus dépenser un centime. Les édiles de la capitale invoquaient avec il est vrai juste raison que de telles dépenses juraient avec la situation précaire des Parisiens trois ans seulement après la Grande Guerre. Pelisse supplie en termes tout aussi polis l’approbation des sénateurs pour qu’ils n’imitent pas la pingrerie et la mésentente de leurs collègues de l’assemblée d’édiles de la ville-lumière.

Et, on ne peut s’empêcher d’admirer la rhétorique de l’orateur que les promoteurs du Comité de Paris 2024 envieraient : « Nous pensons que, sans exagérer, il est indispensable de consentir à la préparation olympique française des sommes assez élevées, car, s’il est bien que la manifestation olympique soit éclatante et donne-satisfaction à l’hospitalité française, il est indispensable que, recevant des étrangers, nous figurions dans les différentes manifestations, non pas seulement d’une façon honorable, mais d’une façon victorieuse« .

« Nous pensons qu’il ne faut point agir avec parcimonie à l’occasion des jeux de 1924…une manifestation triomphale pour la race… qui laissera le monde dans l’étonnement et l’admiration. »

Mr Pelisse grimpe encore dans les trémolos de l’emphase : « Nous pensons qu’il ne faut point agir avec parcimonie, de même avec luxe, à l’occasion des jeux de 1924 qui peuvent être l’occasion d’une manifestation triomphale pour la race et, par suite, une oeuvre de propagande qui laissera le monde dans l’étonnement et l’admiration. »

Enfin, ce que Anne Hidalgo, Tony Estanguet ou même Emmanuel Macron n’avaient même pas osé clamer, Mr Pelisse l’ose, en se jetant dans le lyrisme le plus échevelé : « […] qu’il s’agissait, enfin, de laisser des installations qui, non seulement fussent pratiques, mais constituassent de véritables monuments contribuant à la beauté de Paris, ainsi qu’ont contribué à l’embellissement des cités toutes les arènes de l’antiquité, qu’elles soient en Grèce, qu’elles soient en Italie., qu’elles soient en Afrique, qu’elles soient en France, là où le génie romain s’est exprimé. »

Le superbe village olympique de Paris en 1924, construit à proximité du stade de Colombes.

Le Miroir des Sports 19 juillet 1924 Les spectateurs du tennis manquent de confort

 

Les concurrents du marathon viennent de prendre le départ au stade de Colombes.

Paris 1924, les débuts du sport spectacle

C’était hier. Avant-hier même. Les Jeux Olympiques modernes avaient trente ans mais étaient loin d’être majeurs. Paris allait leur offrir une véritable naissance, ou plutôt une renaissance.

Les sept éditions précédentes de l’olympisme, version Coubertin,  s’étaient plus ou moins embourbées. Trop novateur le baron ! En étendard, ses idées iconoclastes sur le muscle et le sport – l’avenir selon lui de la jeunesse du monde – effrayaient les réactionnaires.

Le fondateur des JO modernes garde un souvenir épouvantable de leur premier passage dans la capitale française en 1900 pendant l’Exposition universelle. Une « foire ». Coubertin aurait même préféré Lyon pour 1924. Mais il n’est plus le seul maître à bord du vaisseau olympique comme il l’a été pendant quasiment trois décennies.

Et Paris, sa ville natale, va accueillir presque à contrecœur pour lui la fleur athlétique de la planète. Les événements vont paradoxalement jouer en faveur des Jeux, qui pour la première fois créent un choc vraiment universel. A la vitesse du temps de l’époque. C’est à dire pour nous, homo numericus, à un rythme d’escargot.

Pour la première fois, les journalistes (700) du monde entier suivent les compétitions. La photographie est mise à l’honneur. Le CIO y veille lui-même. On soigne enfin l’image des Jeux. Et les sportifs sont le plus souvent à la hauteur.

Nurmi, Ritola, Weissmuller et bien d’autres entrent dans la légende. Par leurs exploits mais aussi et surtout par l’écho formidable, magnifié, qu’en reproduisent les journaux, le cinéma qui en mémorise les gestes et la radio qui réalise là ses premiers reportages en direct.

Le_Miroir_des_sports 12 juillet 1924 Finale 200 m

Le sport ne va plus seulement amuser, il va passionner. Charles Pierre Fredy de Coubertin, l’aristocrate anglophile, insiste depuis toujours sur le couplage de l’art et du sport. Il fera tout pour mêler les concours d’art (littérature, architecture, sculpture, musique) au spectacle du stade. Sans réussite d’ailleurs mais, comme d’habitude avec lui, avec des conséquences à long terme. Si des artistes chantent ou peignent le sport, c’est qu’il appartient de nouveau à la société, au monde, comme il appartenait à l’hellénisme.

A Paris, sous l’ère du nouveau bon président Doumergue, les prémisses d’un autre théâtre, celui du geste sportif se font jour. Certes, la foule remplit rarement le stade de Colombes, trop loin sans doute du cœur de la capitale. Mais la piscine des Tourelles, dans le 20e arrondissement, fait le plein en permanence durant une semaine entière.

On fait beaucoup, et comme on peut, pour les spectateurs qu’on transporte par tramway, et qu’on informe en temps réel, enfin, avec un nouveau système de sonorisation et un affichage électronique du dernier cri.

Malgré tous les défauts de leur adolescence, les Jeux de Paris s’impriment dans les colonnes, les films et surtout l’imaginaire collectif. On retient les records et surtout les images, la légende. Johnny Weissmuller et son allure inimitable de dauphin aux bras moulinant, surplombant l’eau, impressionne le monde.

Johnny Weissmuller crawl

Au point que l’immigré autrichien sans papiers devenu américain, se fera happer par Hollywood pour une seconde carrière dans le rôle de Tarzan.

Coubertin, en tant que président du CIO, ne survivra pas après 1924 à ces Jeux Olympiques qui commencent d’une certaine manière à le dépasser. Une incongruité tant l’avant-gardisme du Français fut puissant. On a peine à croire qu’il éprouvait une aversion au spectacle du sport, considérant que les Jeux devaient être avant tout ceux des sportifs. On connaît mieux sa détestation des femmes en action. Ou, c’est le moins qu’on puisse dire, son manque de vision, sur le régime nazi qu’il poussera avant de mourir à organiser les Jeux de Berlin…

Les successeurs du baron ne manqueront pas d’exploiter le filon olympique. Avec un sens bien davantage aigu de la rentabilité. Et quoi qu’on en dise une mesure assez juste du spectacle sportif. Sur ce plan, tout, ou presque, est né sur les bords de la Seine en 1924. Neymar, Curry ou Bolt seraient inspirés de temps à autre de se recueillir à Lausanne sur la tombe du rénovateur des courses et lancers de l’Antiquité.

Helen Wills, une glaciale et invincible Américaine à Paris en 1924

Miroir Sports 23 juillet 1924 victoire Helen Wills
Le style d’Helen Wills disséqué dans le Miroir des Sports

 

Surnommée « Poker Face » : jamais un sourire même après la victoire, jamais de démonstration d’émotion, tout simplement dira-t-elle parce que « je n’ai pas d’émotion » !

Le tournoi féminin de tennis des Jeux de Paris en 1924 est avant son début orphelin de Suzanne Lenglen, la diva du jeu et championne olympique en titre qui, malade, a déclaré forfait. La personnalité et le talent de Suzanne écrasent alors son sport tout entier. Son aura fait de l’ombre à tous, y compris aux hommes comme au légendaire Bill Tilden qui la déteste.

Le journal « Le Matin » du 17 juillet 1924

Helen Wills, la jeune Californienne de dix-huit ans contraste singulièrement avec la Française à l’expression gestuelle permanente. On surnomme Helen Poker Face. Jamais un sourire même après la victoire, jamais de dialogue avec ses adversaires, jamais de démonstration d’émotion, tout simplement dira-t-elle parce que « je n’ai pas d’émotion » !

Helen se nourrit entre les matches de « l’atmosphère de Paris » qui lui laissera un « souvenir absolu de perfection et de bien-être« 

Elle dédaigne les photographes qui se verront chassés du court lors de ses matches au motif qu’ils la déconcentraient. En réalité, l’Américaine, vainqueur en finale de la Française Didie Vlasto, avouera plus tard s’être émue d’autre chose que de ses opposantes dans un tournoi qu’elle enlève, avec celui du double dames, avec une facilité déconcertante. L’étudiante en arts à Berkeley se nourrit entre les matches des charmes de la capitale française, de « l’atmosphère de Paris« , qu’elle découvre et visite avec sa mère, avec tant de passion qu’elle attrape en marche le train de retour de sa délégation.

Soixante ans après son triomphe, celle qui, devenue Helen Wills-Moody par son mariage et aux yeux de beaucoup la plus grande championne américaine de tennis du XXe siècle, avouera avant de disparaître en 1998, que Paris lui avait laissé un « souvenir absolu de perfection et de bien-être« . Ce qui n’avait pas été le cas du site olympique de tennis, dont Hazel Wightman, entraîneur et amie de la championne, n’avait pas hésité à dire « qu’on ne pouvait pas avoir choisi un endroit plus laid« .

Le court avait été construit au milieu d’un champ de la grande banlieue parisienne, attenant au tout neuf stade olympique de Colombes, érigé dans la précipitation sur les terrains du Racing Club de France, et après bien des hésitations de la ville de Paris, soucieuse de ne pas ébranler ses frêles finances.

Le tennis sera rayé des sports olympiques après Paris – le professionnalisme s’ingérant trop au goût du CIO – et fera, officiellement, son retour en… 1988.

Après son triomphe à Paris, Wills va devenir après Lenglen la deuxième star absolue du tennis féminin

Helen, se coiffant d’une casquette-visière qui fera beaucoup pour sa légende, et avec son grand coup droit et un service qui pour la première fois chez les femmes fait des ravages, va vite devenir la deuxième star absolue du tennis féminin. Les faiseurs d’événements, journaux et organisateurs en tous genres, ne s’y trompent pas. Et, à grands coups de trompettes médiatiques et financières, elles se font face en 1926, à Cannes, lors du premier « match du siècle », que la Française emporte au bout de l’épuisement et du suspense devant le plus grand parterre de têtes couronnées de l’histoire du sport.

En 1924 c’était pareil !

Rien de neuf. Les jeux Olympiques fascinaient déjà nos hommes de presse il y a cent ans, nos medias dit-on aujourd’hui. Mais aussi les hommes politiques.

Le 20 octobre 1920, dans le Miroir des Sports, l’un des journaux de l’époque faisant autorité, à l’image de notre Equipe, l’auteur de l’article, Gaston Vidal le député de l’Allier et accessoirement président de la puissante organisation de l’USFSA – grand ordonnateur du sport français -, invoquait des arguments que l’on retrouve quasiment mot à mot dans les plaquettes de la candidature de Paris 2024 :

[…] elle (La France) les demande aussi parce qu’elle est sûre de pouvoir les organiser aussi bien, sinon mieux que toute autre nation, et que, nulle part ailleurs, ils n’auront un aussi grand retentissement qu’à Paris. Car la France est toujours la France et il n’y a qu’un Paris dans le monde. […].

Gaston Vidal y allait même presque plus fort que Chirac, Sarkozy, Hollande, Delanoë et Hidalgo réunis :

[…] Ceci prouve combien la clientèle sportive est devenue extraordinairement dense, et c’est pourquoi, pour le Stade qui doit servir de cadre à un spectacle aussi exceptionnel que les Jeux olympiques, il faut voir grand, très grand, beaucoup plus grand que tout ce qui a été fait jusqu’à présent, même à Stockholm et à Berlin. Il faut un Stade qui puisse contenir cent mille personnes. Et il faut ce Stade sinon au centre même de Paris — Glarner a parlé du Champ de Mars, de l’hôtel Biron — du moins immédiatement aux portes même de la capitale et à un endroit où aboutissent de nombreux moyens de communication. […]

Et Vidal de conclure :

« Nos édiles sont à présent suffisamment avertis de l’importance prise dans la vie publique par l’activité sportive, pour se rendre compte du bénéfice moral et matériel énorme que tirerait la capitale du choix de Paris comme siège de l’Olympiade de 1924. »

En 2017, rien de nouveau sous le soleil de l’olympisme, de la politique, de la rhétorique et de la communication.