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Barcelone, Messi, et la pierre philosophale

En sport comme ailleurs, l’histoire a besoin de points de repère, de dates marquantes, de faits fondateurs. Dans notre ère de l’information permanente, on a un peu plus de mal à les appréhender à leur juste valeur. Mais ce samedi 28 mai 2011, aucun observateur n’a pu hésiter. Et pas un historien, même le plus partisan, ne pourra formuler autre chose qu’un jugement universellement partagé. Le FC Barcelone, vainqueur de Manchester United (3-1) en finale de la Ligue des Champions, a inscrit une page majuscule dans le grand livre du football.

Les plus jeunes ont sans doute écarquillé très grand leurs yeux devant le spectacle offert par l’équipe de Sepp Guardiola. Ils n’avaient évidemment jamais assisté à une pareille démonstration du jeu de football. Les plus anciens ont eu beau creuser dans leurs souvenirs, rien n’en sortait de plus beau, de plus admirable que ce que Lionel Messi, Andres Iniesta, Xavi Hernandez et Cie ont peint sur la toile de Wembley, temple pourtant habitué depuis cent cinquante ans à accueillir des chefs d’oeuvre…

L’adversaire livré en pâture aux Catalans, les grands, les immenses Mancuniens du non moins gigantesque Sir Alex Ferguson, n’ont pu pendant quatre-vingt dix minutes que jouer le rôle de faire-valoir. Le ballon a continuellement et désespérément fui leurs pieds, attiré irrésistiblement par ceux d’en face. Le Barça n’a pas joué au football, il l’a réinventé, révolutionné. Et comme à chaque nouvelle grande secousse, invention ou découverte, le monde reste comme en stupéfaction, incrédule, Manchester United ayant été le premier témoin direct à en subir les effets…

A Barcelone, on a trouvé l’élixir du football, la substance qui rend invincible…

Il y aura, aussi sûr qu’il y a eu un avant et un après Brésil 1970, un avant et un après Barcelone 2011. Comme par un hasard divin, les deux équipes se sont nourries d’une semblable énergie créatrice. Un jeu de passes à une ou deux touches de balles, simple comme bonjour dans la conception mais irréalisable par le commun des mortels. Un pinceau dans un milliard de mains rend autant de croutes. Dans celle de Michel-Ange, il donne le plafond de la Chapelle Sixtine…Et puis, comme le Brésil de Pelé, le Barcelone d’aujourd’hui détient l’arme absolue, l’Excalibur des terrains, l’épée magique qui rend invincible, Leo Messi. Pourtant, comme Edson Arantes Do Nascimento, l’Argentin, ainsi d’ailleurs que la plupart de ses coéquipiers catalans, contreviennent à tous les standards établis dans leur discipline avec leur constitution d’oiseau fragile. Les élixirs sont justement faits pour transformer le plomb en or ou les pigeons en aigles… A Barcelone, on a trouvé la pierre philosophale !

Et si on supprimait le Ballon d’Or…

Finalement, ce Ballon d’Or ne contente jamais personne. Il suscite la plupart du temps la polémique, voire la haine, comme pour sa dernière édition. Les Espagnols, fous de rage après Messi, ou plutôt après la défaite de Xavi et Iniesta, s’en sont pris au jury, au mode d’élection et à la terre entière.

Si c’était la première fois… Mais c’est le cas presque chaque année. Jamais, ou quasiment, le joueur élu ne fait l’unanimité. Aux premiers temps, France Foot sacrait un joueur exclusivement européen. Bien sûr, les autres, et notamment les Sud-Américains, s’insurgeaient, Pelé n’a jamais par exemple été récompensé…

Le système d’élection, par des journalistes spécialisés, a ensuite subi le feu des critiques. Puis ce fut le mode quelque peu arbitraire de sélection – trop importante prise en compte des prestations lors des grandes compétitions, du fair-play – qui a amené à élever au pinacle des Rossi, des Matthaus ou Cannavaro au détriment des Cantona, Bergkamp ou Henry. Reconnaissons-là, par la seule évocation de ces noms, la perversion du système…

Au bilan, le trophée n’a souvent fait que des malheureux. Les vainqueurs n’en ont tiré que gloriette… Ils n’en avaient souvent pas besoin, gavés de trophées glanés, eux, à l’issue de compétitions remportées sur le terrain. De surcroît, comme cette année, il provoque six mois durant, avant et après qu’il soit décerné, des discussions de comptoir à n’en plus finir, et des polémiques qui atteignent, elles, les plus hautes sphères, à qui la température des débats finit par donner la fièvre.Aujourd’hui, le Ballon d’Or est décerné par deux organisations (France Foot et la FIFA) et trois sortes de jurys, capitaines de sélection, sélectionneurs et journalistes, représentant un peu plus de six cents personnes. Bon, c’est vrai, cela ne prête pas trop à contestation. Mais ce n’est toujours pas un vote universel. Et Messi a certes été un génie durant la majeure partie de la saison… sauf au moment décisif, c’est à dire en Coupe du monde. Pendant ce mois capital, ce sont les Espagnols Xavi et Iniesta qui ont montré ce qu’ils savaient faire, face à l’adversité la plus féroce. Pas Messi.Enfin, le Ballon d’Or est un trophée quelque peu bizarre, contradictoire, qui fait ressortir un maillon d’une chaîne, un élément d’un collectif. Ce qui est assez injuste. En soi, il me parait inique en regard des trophées de fin d’année en tennis ou golf.

Je ne dis pas que le Ballon d’Or ne sert à rien. Je dis qu’il est subjectif… Le supprimer ou lui donner sa véritable importance, autrement dit un laurier somme toute banal de fin d’année, ne ferait que le remettre à une place bien plus conforme à ce qu’il devrait être.

Barcelone, une équipe de virtuoses

Il y a eu le Real Madrid des années 60, l’Ajax des années 70, le Milan AC des années 90. Il y a désormais le Barça des années 2000. Le FC Barcelone est même peut-être la meilleure de toutes ces équipes de légende. La formation de Sepp Guardiola a fait passer lundi soir le Real, alors leader de la Liga, pour un club amateur, en lui passant cinq buts et en ne lui laissant que de misérables miettes de jeu.

Le plus étonnant n’est pas tant ce score que la manière étalée au Nou Camp par les Blaugrana. Les virtuoses catalans ont produit un récital d’une qualité inouïe et probablement inédite dans l’histoire du football. A l’image d’ailleurs de leurs prestations en Liga et sur la scène européenne depuis trois saisons. Les cinq buts sont tous nés d’actions collectives d’une longueur exceptionnelle dépassant parfois la minute et vingt passes consécutives. C’est la grande nouveauté du temps et véritablement la plus belle audace de Guardiola.

Comme l’équipe d’Espagne championne du monde et dont il inspire la méthode, le Barça ne fait pas la différence sur des contres ou des coups de pied arrêtés. Il la fait la plupart du temps sur son ahurissante capacité à faire tourner le ballon dans un périmètre incroyablement resserré puis à le faire ressortir par magie, par la grâce de ses lutins du milieu de terrain, Xavi, Iniesta et Busquets, très vraisemblablement le trio le plus technique et le plus ensorcelant de toute l’histoire du football.

Mais Barcelone a encore mieux. Son trio d’attaquants, mené par le divin Lionel Messi, qui, quand il ne marque pas comme face au Real, donne, offre des ballons d’or (il sera difficile de ne pas lui décerner encore cette année celui de France Foot, et si ce n’est pas lui ce sera forcement l’un de ses « frères ») à ses comparses quasiment aussi insaisissables que lui, David Villa et Pedro. Trois fois contre les Merengue, l’Argentin a délivré une passe décisive, deux fois au premier, une au second.Alors quand cette machine de rêve tourne à plein régime, l’opposition, même quand elle compte dans ses rangs Cristiano Ronaldo, Casillas, Benzema, Özil ou Sergio Ramos, avec à sa tête le renard José Mourinho, ne peut que constater les dégâts… Car Barcelone, plus que le Real, constitue sans doute l’addition la plus parfaite synthèse d’individualités au service du collectif.

L’Espagne joue au football. Viva España !

Quoi de mieux que le beau jeu ? Quoi de mieux que l’Espagne en football depuis deux ans ? Rien. Et le foot vient sûrement de gagner beaucoup avec la qualification de la Roja pour la finale de la Coupe du monde.

Vive les entraîneurs audacieux !

Je souhaite que l’Espagne conserve sa magie jusqu’au bout simplement pour que le reste du monde s’en inspire. Les hommes de Vicente Del Bosque n’ont certes pas profité au maximum de leur supériorité technique face à tous leurs adversaires de ce Mondial. Ils ont même manqué de se faire éliminer par le Paraguay en quarts de finale. Mais ils ont sans conteste réalisé la plus formidable démonstration de jeu collectif depuis trois semaines. C’est ce qui me réjouit au plus haut point. Vive les entraîneurs audacieux. Vive le jeu de passes à la Barcelonaise.

Et si l’on bannissait du vocabulaire les « milieux-récupérateurs »…

Vive Iniesta et Xavi, les as du contrepied et de la passe en or. Et à bas les entraîneurs qui alignent dans leur équipe les « milieux-récupérateurs », que l’on devrait plutôt appeler milieux-destructeurs ou milieux-castrateurs. Iniesta et Xavi récupèrent plus de ballons que n’importe qui et ils savent s’en servir. Vous me direz, ces diamants ibères sont presque uniques dans le monde. Que fait-on quand on ne les a pas sous la main ? Je dis qu’il faut essayer d’en trouver, d’en former, de laisser une chance en équipes de jeunes à ceux qui expriment des vertus créatrices, et pas aux « récupérateurs de malheur ».Viva España !