C’est drôle, je me suis revu quelques années en arrière quand j’ai vu, et surtout entendu, le « Tu m’emmerdes avec ta question« lancé par Marc Lièvremont à un journaliste qui venait de lui demander à l’issue du match des Bleus contre les Blacks « Croyez-vous toujours que vous serez champions du monde ?«
Je me suis revu, parce que j’avais moi-même subi une pareille foudre de la part d’une autre éminence du rugby. Je l’ai raconté dans un précédent billet « Le jour où Chabal a failli me manger tout cru« . Alors, je me suis mis immédiatement à la place de mon malheureux confrère (Michel Le Chevallier, du Parisien), sachant par quels sentiments l’on passe dans ce genre de situation. Je vous l’avoue, on aimerait être ailleurs… Loin, très loin. Mais, être journaliste, intervieweur dans le cas présent, implique une bonne dose de sang-froid. Probablement même d’une certaine inconscience. Je ne me place naturellement que dans l’hypothèse d’un journaliste digne de sa carte de presse, autrement dit pas à la solde de l’interviewé, ce qui était manifestement évident concernant mon confrère…
Donc, vous vous retrouvez face à votre questionné, en l’espèce Marc Lièvremont sélectionneur de l’équipe de France et personnage ô combien public, comme je l’avais été face à Chabal… Vous posez votre satanée question, comme ça, parce que vous vous l’êtes d’abord posée à vous-même, vous la trouviez intéressante, voire passionnante pour la chambrée et en conséquence pour des centaines de milliers de personnes, et vous attendez comme d’habitude la réponse. Et là, dès l’instant où le mot ou la phrase jaillit de la bouche de votre interlocuteur, on peut y déceler l’étincelle et le feu qui se déclenche. En une fraction de seconde, le coeur prend cinquante pulsations supplémentaires à la minute.
J’avais encaissé un « Vous êtes insupportable… » de la part du « Caveman« , en pleine gloire et moi en pleine détresse. Mon confrère a encaissé un « Tu m’emmerdes… » et a certainement du le prendre en pleine poire. Il n’a pas réagi. Pas dans l’instant. Je peux évidemment le comprendre. Je me rappelle à l’époque avoir en une fraction de seconde évalué la situation. En substance, je réagissais ou pas. Je répliquais ou pas. Avec toutes les conséquences possibles. Je vous rassure, il n’avait pas été question pour moi de m’emporter, question de psychologie, je dirais d’éducation. Mais, question de tempérament, il s’agissait de ne pas s’aplatir, quel que soit, si j’ose dire, l’adversaire…
Tu m’emmerdes, je t’emmerde…
J’avais donc pris le parti de répondre à la réponse, contrôlant tant que faire se pouvait mon rythme cardiaque. Et en reformulant ma question, en l’argumentant, tranquillement. Un ou deux de mes confrères – il existe dans une certaine mesure une entraide de corporation – » s’étaient portés à mon secours. Résultat mitigé. Le Chabal ne s’était pas calmé mais pas non plus déchaîné. Et tout le monde en avait pris pour son grade. Quinze jours plus tard, l' »animal » était de nouveau de corvée de presse et attendait, assis, son tour après quelques collègues. Personne n’osait l’approcher. Comme un cavalier qui vient de tomber de cheval, je m’étais dit qu’il fallait tenter de franchir à nouveau immédiatement l’obstacle… Et j’avais tendu, le premier, mon enregistreur… à un Chabal doux comme un agneau…
Comment aurais-je réagi à un « Tu m’emmerdes » ? Je n’en sais trop rien. Comme ça, me connaissant, j’aurais peut-être envoyé un « Et si je te disais que je t’emmerde avec ta réponse »… Et Lièvremont aurait peut-être conclu : « Ah, entre emmerdeurs on se comprend !«