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Li Na, Bartoli et 400 millions de Chinois

Pour les medias, nulle autre matière n’est plus fondamentale que l’interview, l’ « ITV » comme on la nomme dans les rédactions. Plus que toute autre information, tout rédacteur en chef de télé, presse, radio ou internet, la traque en permanence, et en rappelle constamment l’urgence, la nécessité absolue à ses journalistes ou correspondants. A Roland-Garros, ce culte de l’interview constitue même, depuis l’émergence de l’image dans les années 1980, la sève consubstantielle à la vie des chaînes, des stations, des journaux ou des sites.

C’est bien simple, un match à la Porte d’Auteuil sur France Télévisions dure le plus souvent moins de temps que celui qui lui est consacré avant, pendant et après, en entrevues, débats, parlotes, avec ou sans les intéressés, leurs entraîneurs, parents, sponsors, amis, masseurs ou copains de classe… La presse n’est pas en reste. Tenez, je viens de compter dans L’Equipe le nombre de gens réquisitionnés pour étoffer le papier de la présentation de la demi-finale de Marion Bartoli… Pas moins de six anciens ou actuels joueurs, joueuses, entraîneurs, ont été sollicités pour donner leur avis sur la vedette du jour. De cette litanie tautologique (« Marion progresse, est plus intelligente, pugnace, solide, frappe mieux, retourne bien« …etc), on ressort, certes informé en exhaustivité, mais un peu saoulé, comme à la sortie de la lecture d’un dictionnaire de synonymes. Que Bartoli soit en forme, on s’en doutait un peu… Mais il fallait absolument au quotidien sportif, lui et d’autres, rassurer ses lecteurs, les convaincre encore plus de l’évidence, leur marteler que la numéro 1 française… l’est bel et bien, et avant tout l’expliquer et le justifier.

A Roland-Garros, l’interview doit tenir le pèlerin bien assis dans son canapé…

Juste avant Bartoli-Schiavone, on a assisté en direct à une belle démonstration de technique… de l’interview, de sa mécanique et de ce que tout le monde peut en tirer. La Chinoise Li Na était opposée à la Russe Maria Sharapova. Pas de match sur le plan médiatique entre l’inconnue et la diva. Mais la première l’a emporté et la capricieuse perdante a filé du court sans un mot pour Nelson Montfort. Vite, trouver du croustillant pour meubler et conserver le pèlerin (français) à l’antenne avant le choc franco-italien tant attendu. Et l’on croit dénicher, pour nous en dire un peu plus au sujet de la mystérieuse finaliste, la pépite idéale, l’ambassadeur de Chine en France. Qui, ô surprise, parle impeccablement la langue de Molière. Mais, aïe, le diplomate en est un vrai, un professionnel du message à faire passer quelles que soient les questions : La Chine adore le tennis, quatre cents de millions de mes compatriotes ont regardé le match à la télévision, la Chine ceci, la Chine cela…« . L’ambassadeur est fort, très fort, opportuniste surtout. Le coup des « quatre cents millions de Chinois » (pourquoi pas quatre cent un…?) est un coup de maître et va, c’est certain, se répercuter partout pour le plus grand bien de l’image de l’ancien empire du Milieu. Chiffres parfaitement invérifiables et slogan d’enfer, voilà un coup de pub magistral. Séguéla doit en faire couler sa teinture de rage…

Plus classique, Nelson Montfort se rue ensuite sur Li Na à qui il soutire in english of course les invariables banalités (« mon adversaire a bien joué, je n’ai pas lâché…« ) d’après-match que sa rédaction lui commande depuis quinze ans. Là, les deux interlocuteurs font le métier. Sans accroc, sans surprise. Tout pour plaire au spectateur dans son canapé. Un amiral Nelson parfait pour barrer son micro, et une questionnée tout sourire bien sûr, qui n’oublie jamais de féliciter sa victime ou de remercier le public. Du sur-mesure, de la joie, de la tenue, du sport quoi… et un peu d’audimat !