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Lemaitre, l’histoire d’un (bon) mec

Avec des types comme ça, on est tranquille. Pas de malaise et surtout pas de doute. Christophe Lemaitre marche, et court surtout, au naturel et à l’eau claire. Ce qui, en une époque troublée par les maux et les mots venimeux, nous soulage d’un sacré fardeau d’immoralité ambiante.

Lemaitre ne la ramène pas. A Daegu, le jeune homme en est devenu un vrai et l’a évidemment compris. La tête est bien faite et, en bon Savoyard, il sait que malgré la proximité du ciel c’est sur la terre qu’il faut maintenir les pieds pour avancer et grandir. Lemaitre n’est pas, encore, champion ou recordman du monde et c’est mieux comme ça. J’aime mieux ses erreurs que ses coups de génie.

Lemaitre excellent élève, Bolt « fragile » génie

Le génie, comme celui d’Usain Bolt, est un peu trop facile, vous l’appelez et il arrive comme ce samedi (19″40 en trottinant). L’invincibilité et la vie d’un demi-dieu, ce doit être un peu lassant, d’autant que ça ne protège pas forcément d’une issue fatale comme en a témoigné l’invraisemblable raté du premier jour.

En finale, justement, de ce fameux et invraisemblable 100 m des Mondiaux, le gamin a commis l’erreur d’un bon écolier gonflé d’aise par son tableau d’honneur des deux premiers trimestres. Péché d’orgueil. Retour au boulot pendant la semaine et objectif de médaille, pas en chocolat cette fois, sur 200 mètres. Le départ est bon, le virage pas si mal mais il reste cent mètres et l’adversaire sur la droite est un N’dur à cuire. Les leçons de l’hiver portent leurs fruits. Pas de crispation, penser à garder les genoux hauts, les bras souples et les épaules en ligne. A ce moment, les jambes c’est la tête, diraient les entraîneurs les plus expérimentés…

Sur la ligne, le garçon est en bronze et son temps en or : 19 sec. et 80 centièmes. Dans les livres d’histoire. De l’athlétisme français et européen. Ça ne compte quand même pas pour des prunes.

Lemaitre assoiffé de cent !

Il est talentueux, c’est acquis. Il est malicieux, c’est nouveau. Ce Christophe Lemaitre nous a donc bluffé une dernière fois cet été alors que tout laissait croire que sa saison allait se conclure par une petite sieste au meeting de Rieti et qui se transforme en record de France du 100 m (9″97), son deuxième en deux mois !

Rieti, cette petite cité italienne du Latium, dotée d’un stade digne de championnats scolaires, est pourtant le siège depuis trente ans d’un meeting où se succèdent bizarrement des performances ahurissantes. Comme les records du monde battus sur cette piste magique de Asafa Powell (100 m), Noah Ngeny (1000 m) ou Daniel Komen (3000 m) et plus loin dans le temps de Sebastian Coe (800 m). Ce dimanche, la légende s’est perpétuée. David Rudisha, déjà pourfendeur du record du monde du 800 m il y a huit jours à Berlin, a réitéré son exploit, se surpassant lui-même de huit centièmes en 1″41″01. Ce jeune homme kenyan de 20 ans court tout droit vers une inscription en grosses lettres dans les grandes pages des livres d’histoire de l’athlétisme.

Heureusement qu’il est fatigué !

Lemaitre avait annoncé que son dernier 100 m avant des vacances méritées constituait en quelque sorte un pensum après deux mois épuisants et une campagne triomphale ponctuée d’un triplé unique aux Championnats d’Europe et d’un historique record de France (9″98). Quel pensum ! Le garçon est en fait un buveur de performances. Un assoiffé de titres. Rien ne semble le rassasier.

Dans l’ambiance si particulière de Rieti, avec une lumière très jaune et une température doucereuse, Lemaitre a d’abord couru une première ligne droite lors des séries. Au bout, une troisième place mais déjà une sensation : 9″98 et son record de France égalé. Trois quarts d’heure plus tard, la finale. Nouveau départ moyen. Lemaitre au couloir 4 voit la plupart de ses concurrents le devancer. Il ne se décourage pas et insiste sans se désunir. il a raison. Car même s’il termine à la quatrième place, loin du vainqueur, le Jamaicain Nesta Carter, formidable de vélocité en 9″78, soit la meilleure performance de l’année à égalité avec Tyson Gay, Lemaitre gagne le fameux centième qui lui fallait pour battre son deuxième record de France de la saison. »C’est pour m’amuser« , avait lancé l’Aixois avant de se rendre à Rieti ! La bonne blague. Vivement qu’il récupère un peu…

Il faut les appeler »France »

Il y a des moments particuliers dans la vie où l’on ne croit plus ses yeux, où le cœur fait boum et où l’on ne sait plus trop pourquoi les choses tournent dans le bon sens. Cet été, il y aura eu un avant-Barcelone et un après. Avant, c’était moche, noir et cafardeux. On avait cauchemardé en juin, nos footballeurs nous avaient refilé la nausée. Et puis, en pleine déprime post-mondial, on a rallumé la télé. Comme ça, pour ne pas sombrer encore plus dans le nervous breakdown complet.Il y avait des championnats d’Europe d’athlétisme avec deux ou trois menus espoirs de médailles. On n’osait même plus parler d’or. Mais, comme on nous vendait au moins la présence prometteuse d’un grand escogriffe venu d’Aix-les-Bains et nommé Lemaitre, on se disait qu’on se prendrait quelques coups d’adrénaline salutaires pour notre moral réduit au stade du misérable.

Lemaitre, étalon or

C’était à Barcelone. Dès le deuxième jour, le mercredi, le grand blond en question de vingt printemps, nous faisait le coup de la belle bleue. On n’avait jamais vu sur une piste, de Lille à Menton, un type aussi pétillant. Le jeudi, on se disait que la fête de la veille était trop belle pour une saison sportive aussi pourrie. Mais non. Lemaitre était en fait l’étalon. Tout ce monde tricolore allait prendre une semblable mesure. De référence. Et pan, quatre médailles d’un coup. Dont trois inconnus, un balèze en or, Romain Barras, qui s’était battu comme un lion au décathlon, et un duo de petites flèches de poche, Mang et Soumaré, rigolardes comme pas deux. Incroyables ces filles, non seulement marrantes, mais avec des mots bizarres qui leur sortaient de la bouche : « On court pour l’équipe ». Tiens, ça commençait à contraster sérieusement avec certains autres baltringues millionnaires vus en Afrique du Sud en train de faire la sieste dans un car Pullman !Même chose le vendredi, le samedi et le dimanche ! A chaque fois pareil ! Deux, trois ou quatre médailles en trois heures… Et encore Christophe Lemaître, trois fois doré au total. Encore la petite Soumaré, qui ne s’arrêtait plus de se trémousser sur la piste et sur le podium, et qui s’arrachait les cordes vocales en rappant la Marseillaise. Et Diniz, le marcheur casse-gueule, qui après 50 km de lutte contre l’épuisement trouvait la force de faire une synthèse complète sur les vertus de l’effort et de l’esprit collectif…

Le bureau des pleurs se mue en palais de la rigolade

Dix-huit médailles je vous dis… Un truc pas normal, pas français. Le pauvre Nelson Monfort, bureau des pleurs depuis deux décennies, en perdait son latin. D’habitude, le Nelson n’osait même pas s’adresser aux Bleus en larmes qui passaient devant son carré d’intervieweur et nous servait son accent d’Oxford en invitant les vainqueurs, les autres, les étrangers. Là, tous les soirs foule dans sa loge, mais avec seulement du bleu du blanc et du rouge, et dans la langue de Molière : « Vous nous ravissez l’ami… On aime entendre ça, ma chère… »Et Lavillenie, le perchiste favori qui ne craque pas, et les frères siamois Mekhissi et Tahri qui partent seuls dès le départ du 3000 m steeple pour finir premier et deuxième… De la folie, je vous dis encore. Parce que j’oublie l’or du relais 4×100 m hommes. Les argents totalement inattendus de Darien au 110 m haies, de Gomis à la longueur, de Dehiba au 1 500 m… Et encore du beau bronze pour M’bandjock et le 4×100 m femmes, du bronze aussi pour Tamgho… une déception !Bon, j’ai remisé mon Lexomyl dans mon armoire à pharmacie. Je suis de nouveau à bloc. Ces gars et ces filles, il ne faut plus les appeler des Bleus. Ces athlètes enthousiastes, solidaires et pas payés (en comparaison d’autres) il faut les appeler les « France ». Et que la patrie leur soit reconnaissante.

Christophe Lemaitre, le style de Carl Lewis

Bien sûr, il ne court pas encore aussi vite que le dieu des dieux du sprint du vingtième siècle, mais Christophe Lemaitre a un peu de la grâce de Carl Lewis. Comme King Carl, le nouveau champion d’Europe possède le don inné de l’accélération. On l’avait vu dominer les séries sans véritable opposition, et l’on craignait qu’il ne craque en finale.C’était oublier que le gamin imberbe d’Aix-les-Bains est aussi un battant. En 1991, Lewis avait remporté le plus beau cent mètres de l’histoire aux championnats du monde de Tokyo, également après un départ calamiteux. Et puis l’aigle s’était envolé, déployant ses ailes à la mi-course pour avaler tous ses rivaux. L’impression laissée par l’homme aux neuf médailles d’or olympiques avait été fabuleuse. Une perfection mécanique et esthétique. Les spécialistes informatiques de l’athlétisme s’étaient penchés sur les cinquante derniers mètres de Lewis, et en avaient conclu qu’un chronomètre n’avait jamais enregistré une si grande vitesse d’un être humain à l’aide de ses seules jambes.Ce mercredi, Lemaitre est lui aussi sorti de ses starts comme un véritable diesel. Mais le nouveau petit génie européen de la ligne droite a prouvé qu’il avait la tête bien accrochée sur son buste. Il n’a pas paniqué, a commencé à faire tourner ses longues et fines bielles, qui ont trouvé la carburation idéale à la mi-course. Une sorte de Carl Lewis blanc. Irrésistible.Evidemment, Lemaitre est encore assez loin des temps d’Usain Bolt, de Tyson Gay ou Asafa Powell. Mais il ne cesse de progresser. Il est même le seul au monde, peut-être, à améliorer mois après mois ses temps et surtout sa technique. Et, enfin, le garçon a du talent. Plus que cela, il a de la moelle. Et encore plus, du style. Un style qui porte, comme celle de celui dont il a les mêmes initiales, Carl Lewis, une marque. Celle des grands.

Christophe Lemaitre, en noir et blanc

En 2010. Nous sommes en 2010. Barack Obama est président des États-Unis. Nelson Mandela l’a été en Afrique du Sud.Usain Bolt est recordman du monde du 100 mètres et du 200 mètres. Il a succédé à Asafa Powell, Justin Gatlin, Tim Montgomery, et plus loin encore à Carl Lewis, Jim Hines…Christophe Lemaitre vient de courir le quart de piste en 10″03. C’est écrit, le jeune Français va descendre prochainement sous la barre des dix secondes. C’est une question de jours, de semaines tout au plus, tant le jeune homme de dix-neuf ans est pétri de talent. Mais en plus de courir vite, il court bien. Cela crève les yeux, Lemaitre a parfaitement assimilé le travail nécessaire à un élève doué mais devant absolument intégrer tous les paramètres d’une course aussi technique que le 100 m. Grâce à ce gros travail, très obscur mais indispensable, il jaillit désormais relativement vite des starting-blocks, puis met très rapidement ses grandes bielles (1,89 m) en carburation optimale. Ses performances sur 60 m cet hiver sont la preuve qu’il a franchi un nouveau cap en terme de mise en action. Et comme son accélération n’a pas encore trouvé de limites, la perspective de le voir réaliser des temps canon  sur la distance reine se rapproche à grands pas… Pas de secret, don et travail conduisent fatalement aux plus beaux exploits.Christophe Lemaitre n’est pas noir. Vous me voyez venir? Parce que la première observation qui vient à l’esprit des commentateurs, c’est que Lemaître pourrait être le premier sprinter de l’histoire… blanc, à courir le 100 m en moins de dix secondes. Nous sommes en 2010. Blanc ou noir. Noir ou blanc. Franchement, je m’en fous. Complètement.Il y a un peu plus d’un quart de siècle, en 1968 aux JO de Mexico, le monde entier avait appris que « la première finale olympique était 100% noire« . Quelle information ! Les blancs couraient donc soudainement moins vite que les noirs. Très instructif. Quelle avancée ! L’anecdote semblait assez intéressante pour faire la une des journaux.L’information parait cinquante ans plus tard toujours aussi passionnante, et cette fois avant même qu’elle se produise. Je me demande pourquoi. Pour se planquer de cet événement, les médias feront d’abord des choux gras du fait que pour la première fois un athlète européen crèvera le mur des dix secondes. Mais ce sera bien le fait qu’il ne soit pas de couleur qui fera l’événement.Et en 3010, un blanc ou un noir passera en-dessous des cinq secondes au 100 m. J’aurais bien aimé vivre mille ans pour voir ça…