Il y avait naguère une sorte d’élégance dans l’invective. On opposait ses avis en alexandrins ou, au pire, on réglait les conflits plus graves en les soldant par des duels au pistolet ou à l’épée, où l’on se confondait en excuses de devoir zigouiller son adversaire…
Aujourd’hui, terminés les révérences ou le lyrisme dans les discussions. Quand la moutarde monte, il est de mode de sortir l’artillerie verbale bon marché, vulgaire, voire les gros mots et pas les moins crus… Une mode qui tourne à l’habitude.
Wayne Rooney, Kobe Bryant et Kenny Dalglish ont, en quinze jours seulement, revisité le dictionnaire des insultes proférées dans la langue de Shakespeare.
L’attaquant de Manchester United avait lancé le bal après son troisième but contre West-Ham en hurlant comme un dément face à la caméra une litanie d’injures de toutes sortes (à base de « fuck off » et de ses nombreux dérivés) adressées un peu à tout le monde. Façon Dugarry ou Maradona. Le jeune et plus gros millionnaire du football anglais avait ensuite dû se faire taper sur les doigts par son entraîneur, son agent, ses coéquipiers et probablement sa maman… Ce qui en général suffit à ce genre de morveux écervelé et trop vite enrichi pour comprendre l’essentiel de ce qu’ils peuvent comprendre, autrement dit qu’une mauvaise conduite peut rapidement entraîner une réduction de train de vie. Rooney avait alors fourni le service minimum : « J’étais sous le coup de l’émotion… je n’aurais pas du faire ça »…
Quelques jours plus tard, la star des Lakers avait, lui, ajouté un degré supplémentaire dans la phraséologie du bad boy. Un arbitre s’était entendu traité de « sale pédé » par le génie des parquets qui, comme Rooney, avait plutôt vite pigé la gravité de son acte. Enfin, vite, je veux dire après que son dérapage soit passé en boucle sur les chaînes US et que les lourdes conséquences de l’affaire, surtout aux Etats-Unis, aient été calculées par la troupe de ses avocats. Des conseillers très soucieux et intéressés bien sûr de conserver à peu près intacte l’image de leur poulain ainsi que ses émoluments. L’amende de cent mille dollars infligée par la NBA ayant presque été une bénédiction (Kobe touche 31 millions de dollars par saison, record de Michael Jordan battu !), Bryant a pu ensuite tranquillement balancer des regrets éplorés, jurant ses grands dieux de ne plus verser dans l’homophobie de base.
Enfin, c’est de l’entraîneur de Liverpool, le très correct et élevé au rang de « Sir », Kenny Dalglish, qu’est venu le dernier avatar de ce feuilleton à scandale. A l’issue d’une très mouvementée fin de match contre Arsenal, Dalglish a voulu semble-t-il, d’après les images, se diriger vers son homologue, Arsène Wenger, afin de lui serrer la main en bon camarade. Mais Wenger, d’une humeur de dogue après le penalty de l’égalisation des Reds, lui lance une ou deux piques en moulinant ses grands bras. Pas méchant mais un tantinet inamical. Kenny se renfrogne d’un coup et réplique : « Va chier » (« Piss off »), puis un charmant « Va te faire enc… » (« Fuck off »)…Messieurs, Fénelon le disait avant moi, savez-vous que l’injure est la raison de celui qui a tort. Et surtout, ne me répondez pas que c’est un grand tort que d’avoir toujours raison, ou je vous balance un méchant « F… Off ».