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A Roland-Garros, Paul-Henri Mathieu, revenu d’entre les morts

J’ai croisé par le plus grand des hasards Paul-Henri Mathieu il y a quelques années. C’était dans une salle d’attente et nous patientions tous les deux sur notre chaise, le temps que notre tour vienne d’être reçu par notre rhumatologue. Je me suis permis de lui adresser la parole. Il venait de se blesser aux Internationaux d’Australie et fit une réponse polie à ma question à propos de cette blessure que j’avais apprise comme tout le monde en suivant le tournoi à la télévision. Je trouvais sur le moment ses propos empreints d’une certaine tristesse.

En le voyant me parler, je comprenais cette attitude réservée envers un inconnu, moi, et de surcroît sur ce qui était sans doute plus qu’une blessure. Ce garçon avait déjà connu un paquet de douleurs morales plus encore que physiques. Le premier, le pire, en finale de la Coupe Davis 2002 contre la Russie et Michael Youzhny lors du match décisif où il avait mené deux sets à zéro, 5-2 et 30-0… Sa carrière avait alors oscillé dans le même schéma, entre hauts et bas. Avec des immenses promesses et des gigantesques désillusions, comme à nouveau en Coupe Davis et un match de quarts de finale perdu en 2008 contre James Blake après cette fois deux balles de match.

Et puis fin 2010, le fond du trou. Un genou qui lui dit stop et une opération invraisemblable du tibia qu’un chirurgien lui brise puis reconstruit. Et quinze mois de convalescence, de souffrances, d’une rechute à la 750e place mondiale, mais surtout d’un espoir fou, presque inhumain en un futur vivable. Et ce mois de mai 2012 où Roland-Garros lui offre l’occasion qui ne se présente qu’à une frange très réduite du genre humain. Celle de la résurrection d’entre les morts. Mais qu’il faut saisir quand on l’aperçoit d’aussi loin, d’un endroit qui ressemble à la tombe.

Et Paulo, le maudit, a saisi cette chance. Pourquoi ? Finalement lui seul le sait et n’ose peut-être l’avouer. Car ce qu’il a expliqué (« Je voulais simplement rejouer« ) depuis quelques jours,  ne me convainc pas. Je veux dire que je crois que ce garçon voulait plus que cela, beaucoup plus. Il voulait revivre, exister à nouveau. Mais autrement. Après sa victoire hallucinante sur John Isner ce jeudi sur le Philippe-Chatrier, PHM a lâché à Nelson Montfort puis ensuite à toute la presse que peu lui importait au terme de cette lutte inouïe de près de six heures que la victoire fut au bout. Que l’important était d’avoir retrouvé tout simplement l’usage habituel et parfaitement fonctionnel de son corps après en avoir connu la fin clinique.

Non, Mathieu a trouvé sans doute pour la première fois, inconsciemment ou non, en se battant, en rejouant, en gagnant, la joie de vivre.

John Isner, géant du tennis, confirme Darwin

En sport, chaque génération qui émerge apporte son lot de technique et de force supplémentaire par rapport à la précédente. C’est l’évolution humaine, celle de Darwin, si vous voulez. Rien n’est trop prouvé mais l’ami Charles en a quand même tracé il y a cent cinquante ans une ligne fondatrice que personne n’a toujours réellement contestée. La progression du processus, si progression, il y a, est plutôt lente et chamboulée, mais elle se fait inéluctablement. Chez l’homme, on s’adapte aux éléments extérieurs, on grandit…

En tennis, on constate évidemment le même phénomène. Les champions apparaissent régulièrement, plus rapides, plus costauds voire même plus adroits encore que leurs prédécesseurs pourtant qualifiés en leur temps de génies. On avait successivement crié de la sorte pour Laver, puis pour Nastase, McEnroe et enfin Federer. Sur le plan du physique, notre Yannick Noah des années 80 avait symbolisé cette nouvelle révolution de la taille alliée à la vitesse. Les joueurs frôlant le double mètre semaient souvent la terreur et l’on pensait alors que l’immense Richard Kracijek, par exemple, pourrait définitivement amener les géants au sommet et renvoyer les « petits » à leurs études. Mais les Goliath ont toujours eu, jusqu’à maintenant, les pieds d’argile. Et les Karlovic ou Del Potro ont trop sollicité leurs longs et fins os qu’ils ont fini par faire craquer.

Avec Isner, les géants n’ont plus les pieds d’argile…

John Isner vient de se ranger en nouvelle preuve vivante de la théorie de Darwin. On pensait il y a encore quelque mois que cet échalas américain de 2,06 m, long comme un jour sans pain, finirait comme ses congénères de taille exagérée, dans le cabinet des médecins ou aux oubliettes du tennis de cirque. Le garçon, pour le malheur de l’équipe de France de Coupe Davis de Tsonga après celui de l’équipe suisse de Federer, confirme que la science va devoir s’intéresser à son cas. Très sérieusement. Pour vraisemblablement en écrire un nouveau chapitre à enseigner dans les amphithéâtres d’école de médecine…

Isner, qui n’était il y a peu qu’un « service », décoche désormais ses autres coups aussi puissamment et, surtout, efficacement. De surcroît, il tient la distance, et pas moyennement, comme contre Nicolas Mahut à Wimbledon, où il a enduré victorieusement… onze heures de combat. Et sans doute parce qu’il est diplômé d’université, le garçon sait que son physique, forcément plus handicapant à la longue (dos particulièrement) doit se travailler intelligemment. Un mental qui ne le fait plus douter de rien. Qui l’encouragerait plutôt à se persuader complètement de sa capacité à en faire un numéro 1. Un numéro 1 du tennis, mais aussi un numéro 1 dans le grand livre des origines. Un vrai premier de son espèce…

Chapeau à Mahut, le grand Nicolas !

A l’heure où le football français se voit ridiculisé et stipendié par tout un pays, un joueur de tennis plutôt méconnu du grand public, Nicolas Mahut, rappelle au bon peuple que les valeurs fondamentales du sport n’ont pas disparu.

Le match qui bat tous les records de l’histoire du tennis!

Nicolas Mahut vient de livrer à Wimbledon, en même temps bien sûr que son vainqueur du premier tour l’Américain John Isner, la preuve la plus absolue que l’abnégation et le courage peuvent emmener loin, très loin, au-delà même de l’imaginable. Les deux hommes ont abattu en ces 22, 23 et 24 juin 2010 toutes les barrières connues à ce jour en tennis. Leur match, joué sur trois jours, interrompu deux fois par la nuit et d’une durée totale – oui vous lisez bien – de onze heures et cinq minutes, terminé sur le score de 70-68 au dernier set, a pulvérisé le record de longueur d’une rencontre du circuit, détenu alors par Fabrice Santoro et Arnaud Clément en 6h33. Vous avez encore bien lu, ce dernier set de huit heures et onze minutes a lui-même surpassé en durée cet ancien plus long match de tous les temps !!! Pour finir la peinture surréaliste de cet hallucinant tableau, Mahut a servi 103 aces et Isner 112, les deux matraqueurs reléguant Ivo Karlovic et ses 78 aces en un match au rang de serveur de plage !

Le plus stupéfiant en ce qui concerne Mahut, c’est qu’il avait réalisé une première fois le même genre de marathon… cinq jours plus tôt seulement. Ce natif d’Angers à l’âge déjà assez respectable (28 ans), adepte du service-volée et combattant dans l’âme, avait sorti le Britannique Alex Bogdanovic au deuxième tour des qualifications après un cinquième set conclu sur le score déjà invraisemblable de 24-22 !

Contrairement à d’autres, Mahut s’est arraché les tripes pour seulement quelques milliers d’euros !

Mahut, dont la coiffure laisse penser qu’il se peigne tous les matins avec son manche de raquette, n’est pas Federer ni même Tsonga ou Monfils. Il n’a jamais fait la une des journaux, a le plus souvent échoué au premier ou au deuxième tour des tournois du Grand Chelem qu’il écume depuis près de dix ans, et les sponsors ne s’arrachent pas les vingt ou trente centimètres carrés disponibles sur ses manches de chemise. Il a gagné cette année un peu plus de 80 000 dollars de prix, à comparer aux quatre millions engrangés par Rafaël Nadal !

Pour quelques milliers d’euros, donc, mais aussi pour ne pas « lâcher », comme il l’avait avoué lors de son premier match « king size » de la semaine, et enfin tout simplement pour respecter son propre code de l’honneur personnel et sportif, Mahut s’est, comme son adversaire d’ailleurs, arraché les tripes du ventre. Les deux héros n’ont pas fait de cinéma, ils sont simplement allés au bout d’eux-mêmes, allant jusqu’à susciter l’admiration béate de leurs collègues. John McEnroe lui-même a quitté deux jours de suite sa cabine de commentateur du Centre Court pour filer jusqu’au lointain court 18 et être le témoin direct de l’événement historique, lui qui en avait pourtant vécu un paquet en tant que protagoniste.

Il ne me vient qu’un mot à la bouche, que je n’ai pas prononcé une seule fois en quinze jours à l’égard de certains vingt-trois (plus un) malheureux petits garçons s’étant couverts d’opprobre en Afrique du Sud. Chapeau !