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Cassius, Muhammad, Clay, Ali, plus que de la boxe… (7)

Un peu de la légende de Muhammad Ali (1942-2016) dans mon livre « L’Argent dans le sport (Flammarion, 2004) :

 

« Dispendieux, entretenant grassement un cortège de pique-assiettes, se laissant dévaliser par le clan des Muhammad (que la presse soupçonne de lui avoir prélevé plus de trois millions de dollars), les millions de dollars accumulés en quatre ans ont brûlé entre les gants du munificent.

Ses économies servent alors, se lamente-t-il, « à  trouver de quoi entretenir une famille et verser une pension alimentaire (d’un montant fixé à cent quatre vingt deux mille dollars sur dix ans à sa première femme Sonji qui, refusant de se plier aux obligations de la religion musulmane, avait exigé le divorce : « elle a été mon plus coriace adversaire » se lamentera le champion quand il lui sera demandé plus tard lequel de ses opposants avait été le plus rude), sans parler des frais énormes pour porter mon affaire devant la Cour suprême (deux cent cinquante mille dollars de frais judiciaires). »

Il en rajoute à la télévision qui raffole de ses envolées : « Le pouvoir établi désire que je meure de faim. La punition, cinq ans de prison, dix mille dollars d’amende, n’est pas suffisante. On veut m’empêcher de travailler, non seulement dans ce pays mais partout ailleurs. Je n’ai même pas une licence pour boxer dans une œuvre de charité. Et nous sommes au XXe siècle… Mais je crois en Allah et Allah m’aidera ! »

Ali parle beaucoup d’Allah et court après l’argent…

Le retour à la vie sportive du champion prendra presque quatre ans. Sans évidemment renier ses croyances, en les renforçant au contraire aux côtés de Herbert Muhammad qui l’utilise à fond, Ali fait bouillir la marmite. A coups de conférences rémunérées 2 000 dollars l’unité par les universités dans lesquelles il est l’Américain le plus demandé après le sénateur Edmund Muskie et Edward Kennedy.

Ali 1968 conference étudiants Los Angeles

Et par des expédients que décrira par la suite son entraîneur Angelo Dundee : « Il ne roulait pas sur l’or mais il a toujours eu de l’argent. Le jour où il fut dépouillé de son titre, il reçut soixante pour cent des parts d’une compagnie d’huile de San Francisco qui lui versait des royalties. A Louisville, 76 000 dollars avaient été déposés par le Groupe de Louisville. »

Le boxeur britannique Joe Bugner (qui sera battu par Ali en 1973), en tournée aux Etats-Unis, l’engage comme sparring-partner : « On le payait 1 000 dollars par séance, et il avait l’air d’en être content. Je sais qu’il était sans le sou, car il avait tenté de me vendre un radio téléphone portable pour 1 200 dollars. » Par conviction, il ne donne pas suite aux promoteurs qui voudraient le voir, avec pourtant quatre cent mille dollars à la clé, tenir le rôle de Jack Johnson au cinéma : « je ne voudrais pas apparaître dans un film au bras d’une femme blanche. »

Il est invité dans nombre de pays arabes mais ne pourra répondre qu’après avoir récupéré son passeport et se rendra notamment à Tripoli chez le nouveau dirigeant libyen Kadhafi qui octroiera, grâce à lui, un prêt de quatre millions de dollars à l’organisation de la Nation Musulmane pour la construction d’une mosquée grâce aux revenus du pétrole. Des traquenards lui sont encore  très fréquemment tendus.

Une moitié des Etats de l’Union lui interdit radicalement de combattre. Celui de Californie se désiste en dernière seconde, le sénateur Ronald Reagan signifiant son veto. Le Montana serait prêt à agréer mais contre un dessous-de-table conséquent. Les opposants à la guerre du Vietnam, et par conséquent favorables à Ali, gagnent cependant du terrain. Quelques personnalités de renom apportent leur soutien à l’objecteur, comme Bob Kennedy qui glisse à la cantonade qu’il « est criminel d’empêcher un homme d’exercer son métier. »

Cassius, Muhammad, Clay, Ali, plus que de la boxe… (1)

Un peu de la légende de Muhammad Ali (1942-2016) dans mon livre « L’Argent dans le sport (Flammarion, 2004) :

 

« Si Muhammad Ali n’avait fait que boxer, il est probable que la face du sport aurait été tout autre. Mais Ali à partir du début des années 60 a aussi changé de religion, refusé d’intégrer l’armée américaine, frayé avec les leaders des mouvements radicaux noirs, insulté sans relâche ses adversaires, bravé la maladie…

Jamais un personnage dans l’univers sportif n’avait tant outrepassé les limites de sa sphère. Une alchimie nouvelle est créée. La politique, les tensions raciales, les penseurs, les leaders d’opinion, les anciens combattants s’entremêlent dans le tourbillon permanent qui se crée autour du phénomène. C’est le phénomène Ali. Et il va payer. Ce sera le premier big bang médiatico-financier du sport. Après lui, plus rien ne sera comme avant.

A Louisville (Kentucky), sa ville natale ni plus ni moins pauvre, ni plus ni moins raciste qu’ailleurs aux Etats-Unis, le jeune homme avait vite appris la boxe et la vie  au contact de son premier entraîneur, blanc, Joe Martin. Martin, agent de police de profession et éducateur sportif à ses heures perdues, avait recueilli dans sa salle par pur hasard le gamin éploré après le vol de sa bicyclette une ruelle plus loin ! Les leçons accélérées de boxe avaient amené le bambin pétri de qualités naturelles à se faire remarquer sur les rings.

Ali jeune

Martin, sûr de sa trouvaille, avait poussé son poulain devant les caméras de télévision de « Tomorrow’s champions » (quatre dollars à l’intéressé par passage) qui retransmettaient chaque semaine les combats des jeunes pousses dignes d’intérêt. Les reporters télé et de la presse spécialisée choyaient ce fier-à-bras de treize ans, habitué des logorrhées verbales d’avant match pastichées au catcheur Georgeous George. Cassius gagnait ses combats et jouait les devins pour les suivants… »

Ali et Joe Martin 1960

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Muhammad Ali, son silence est d’or…

Qui est-il ? Je crois modestement avoir tout vu, tout entendu, tout lu sur Cassius Marcellus Clay Jr et je ne le connais pas vraiment mieux. Et lui, se connaît-il, le gamin de Louisville au nom d’esclave, devenu plus ou moins par sa volonté Muhammad Ali au lendemain de sa reconnaissance en tant que meilleur boxeur du monde en 1964, et aujourd’hui fêté sans doute contre son gré pour ses soixante-dix ans de vie sur une terre où ce symbole unique de vitalité traîne malheureusement un corps affreusement affaibli par la maladie ?

Ali est aphasique ou presque depuis des années et ne pourra plus dire ce que l’on aurait voulu -que j’aurais voulu – savoir sur lui. Le fond de sa pensée, la vérité sur ses actes, plus sans doute que sur sa carrière de champion, exceptionnelle pourtant, surnaturelle selon beaucoup… Dommage, même si l’humanité s’est souvent contentée de légende(s). De légendes, justement, Ali s’en est couvert et recouvert, se confondant avec elle. Jamais jusqu’à lui, un sportif n’avait sans doute senti cette capacité à impressionner le public, en bien ou en mal, à stupéfier adversaires, observateurs et au-delà même les puissants de ce monde, y compris les intellectuels.

Muhammad Ali ne nous confiera jamais si il a été par exemple manipulé par ses premiers et quelque peu véreux sponsors de Louisville, par Malcolm X, par Elijah Muhammad et les Black Muslims, qui l’ont pourtant utilisé sans scrupules dès ses débuts comme une proue de leurs très douteuses visées et bien sûr pillé de ses fabuleux gains.

Dans son autobiographie, trop tôt écrite (« The Greatest« , 1976), il ne s’est pas allongé sur le divan, se confinant à quelques anecdotes sur sa vie privée ou sportive. De la part d’un personnage aussi iconique, délirant, fantasmatique, on a longtemps attendu qu’il fende l’armure, qu’il se justifie pourquoi pas. Où qu’il s’exprime franchement, sans détour, à la manière de ses célèbres saillies sur ou autour des rings et souvent empreintes d’une méchanceté féroce (comme envers Joe Frazier ou George Foreman) mais au moins teintées d’authenticité. Bref, que le monde entrevoit le fond de son âme…

L’image de Muhammad Ali, plus forte que ses poings et sa gueule !

Non, Cassius Clay-Muhammad Ali n’a pas fait son introspection, au sens de Rousseau ou Montaigne, si l’on peut pousser à de telles comparaisons… Il n’a pas « formé cette entreprise qui n’eut jamais d’exemple, de montrer un homme dans toute la vérité de la nature », comme disait Jean-Jacques ! Il a certainement considéré, très vite après avoir été atteint du syndrome de Parkinson, que cela était inutile. Qu’il lui était plus profitable d’employer son incomparable image (et incomparable outil en regard des siècles précédents) à des entreprises humanitaires, caritatives, toujours évidemment centrées sur ses croyances, religieuses ou sociales.

Avec donc un même parti-pris mais avec un ton moins guerrier, ne s’attirant même pas de haines quand il rendit visite à Saddam Hussein, le diable en personne. Ali a endossé une toge de Samaritain et empoigné une canne de prophète. Avec succès, forgeant davantage et superbement sa légende, comme il l’a toujours fait, comme les héros la font, l’entretiennent et la font graver par d’autres.

Finalement, Ali a raison, contre tout le monde et contre moi. Le silence est d’or…

Joe Frazier, les mots qui tuent…

C’était le temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître… Celui du début des années 60 d’une Amérique où Cassius Clay réinventait la boxe et la dialectique du sport. Trop fort, trop beau pour un noir au pays du Ku-Klux Klan. Cassius devient Muhammad Ali et la guerre est déclarée. Le champion du monde noir est déchu par les champions du monde blancs du racisme. Le vrai combat commence… Ali n’est plus rien à l’orée des années 70, plus aucun état américain ni quelque autre pays étranger ne veut le voir entre quatre cordes. Il lui reste sa gueule, immense. Il aperçoit celle de Joe Frazier, son successeur sur le trône des poids lourds, le seul qui compte.

Frazier est une bête, un monstre de muscles et de méchanceté, comme jamais vu sur un ring. Un autre noir, idéal à défier et surtout à battre parce qu’il représente selon Ali la figure de l’esclave moderne, pire encore que l’ancien car à la solde morale cette fois-ci des exploiteurs blancs. Et l’odeur de l’argent

La série de leurs trois affrontements en quatre ans (1971, 1974 et 1975) demeure sans doute la plus paroxystique démonstration d’excès en tous genres de l’histoire du noble art. Plus que la violence inouïe des coups et les millions déversés, c’est l’affrontement verbal d’une invraisemblable virulence qui marque ce tryptique. Et Frazier ne s’en remettra jamais vraiment. Jusqu’à sa mort la nuit dernière, Smokin’ Joe a invariablement ressassé les mots qu’Ali lui avait jetés avant, pendant et après leurs combats : « Tu es un gorille » ou « tiens, voilà ce jab pour toi, Oncle Tom« …

Frazier à Ali : « Ouais, ils croiraient qu’on est copains. Ca serait mauvais pour les recettes. »

L’histoire de ces affrontements en avait pris un sacré coup quand Ali avait révélé (et que j’avais reprise dans mon livre « Le Sport et l’Argent, Flammarion, 2004) dans son autobiographie « The Greatest » que les deux hommes avaient bien préparé leur « teasing », en se remémorant un de leurs dialogues alors qu’ils finissaient une virée incognito dans la Cadillac de Frazier

« Frazier : Je vais m’arrêter, te déposer.

Ali : Vaut mieux qu’on nous voie pas trop ensemble, tu sais.

Frazier : Ouais, ils croiraient qu’on est copains. Ca serait mauvais pour les recettes.

Ali : Ouais, Y a personne qui va payer pour voir deux copains. »

Mais Ali, d’après Frazier, était allé trop loin. Dans un documentaire saisissant datant d’il y a seulement quelques années, l’on s’était rendu compte de l’incroyable ressentiment vécu par Frazier, déjà atteint par la maladie, à l’encontre de son ancien adversaire. A qui il ne pardonnait toujours pas d’avoir franchi les limites, pas celles de la force, mais pire, celles de l’humiliation… Quand les mots sont plus forts que les coups…

De Ali à Mourinho, 50 ans de grandes gueules

Quand José Mourinho l’entraîneur de l’Inter Milan gagne le match contre Carlo Ancelotti et Chelsea en huitièmes de finale de la Ligue des Champions autant devant les micros et les caméras que sur le terrain, je me rappelle inévitablement Cassius Clay.

Celui qui remporte le titre olympique de boxe en 1960 et va décider de s’appeler Muhammad Ali en 1964 pour épouser la cause des Black Muslims a été la première « grande gueule » du sport mondial. Vainqueur par k.-o de tous ses adversaires lors des conférences d’avant-match, « The Greatest », comme il se surnommait lui-même, peinait un peu plus sur le ring. Mais son avantage verbal lui a certainement permis de déstabiliser des montagnes, comme Sonny Liston ou George Foreman.Ses collègues gantés ont longtemps essayé de l’imiter. Avec plus ou moins de succès. Comme Ray Sugar Leonard, Roberto Duran ou Mike Tyson. Dans les années 80, Bernard Hinault décidait d’un coup de gueule du sort d’une course, à l’intérieur même du peloton. Et puis est arrivée l’ère des patrons à la langue bien pendue, tels Claude Bez ou Bernard Tapie. Tout leur était bon pour prendre l’avantage alors que leur équipe n’était pas encore sur le terrain. Les phrases assassines, les noms d’oiseau voire les insultes, devenaient de véritables armes psychologiques dégainées à la une d’une presse délectée. Le public en redemandait.

Les années 2000, avec la démultiplication des chaînes de télé et l’émergence d’internet, ont fait naître une nouvelle forme de communication. Les sportifs, souvent portés par leurs agents, leurs conseillers ou même leurs parents (les sœurs Williams), ont fait passer via la presse des messages destinés à rectifier leurs comportements inexcusables ou incompris par les foules. Aujourd’hui, les anciens sportifs ou entraîneurs et quelques fortes personnalités du journalisme forment une communauté incomparable de grandes gueules. Une semaine de sport en France ne peut plus se passer d’une dizaine de débats à décibels max sur Raymond Domenech, Thierry Henry, Brian Joubert, Laure Manaudou… initiés par Luis Fernandez, Philippe Lucas, Bixente Lizarazu ou Pierre Menes.

Quoi ma gueule, qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?