Archives du mot-clé andy murray

Murray, fils de Lendl

Les chiens ne font pas des chats. C’est une certitude, la mienne en tout cas, il y a huit mois Ivan Lendl a reconnu en Andy Murray son fils naturel. Une tête de lard, comme lui, un loser comme lui pendant une demi-carrière et un garçon comme lui bourré de contrariétés ou d’inhibitions comme on dit dans les émissions à la mode ou dans les salons des psys.

Et puis, Lendl, à plus de cinquante ans, a peut-être eu aussi cette envie irrépressible de parler enfin à quelqu’un. Depuis vingt ans, il ne s’adressait plus qu’à ses clébars, des épouvantables molosses de film de Tarantino, dans sa propriété de retraité cossu et fainéant à Los Angeles. Le plus drôle, c’est qu’il ne lui adresse sans doute pas beaucoup plus la parole à son nouveau protégé, depuis neuf mois qu’il est son coach.

Parce que tout bêtement, Murray n’en ressent pas le besoin. Entre mauvais communicants on se comprend à demi-mots. Et entre père et fils, on se contente de signes et du seul atavisme pour fonctionner sans langage. Tellement de ressemblances, de points communs entre ces deux surdoués et si souvent incompris, mais surtout affreux jojos des courts. Des perdants magnifiques des années durant, si acharnés dans leur quête de vains triomphes que les foules ont fini par les moquer, les siffler, pour cette incapacité justement à y parvenir.

Lendl a enfin transmis son secret

Et puis cette identité de comportement, leur côté paranoïaque, leurs attitudes de perpétuels mauvais coucheurs. Ce don chez Lendl, longtemps apatride après avoir renié son pays la Tchécoslovaquie avant de trouver refuge puis carte verte aux Etats-Unis, pour l’inimitié. Et de s’attirer inlassablement les foudres de ses adversaires qu’il toisait, visait de ses passing-shots entre les yeux ou à qui il refusait simplement de serrer la main. Le don aussi singulier chez l’Ecossais de trouver son carburant dans des mimiques de comédien de série B ou dans des interminables et irritants numéros de martyr crucifié pour de prétendues blessures, voire de maladie mortelle déclarée en plein match…

Le « chicken » comme l’avait appelé Jimmy Connors s’était transformé en cannibale un beau dimanche de juin 1984 sur le Central de Roland-Garros. Et on n’avait jamais su trop pourquoi… Pourquoi et comment il avait réduit le génie de John McEnroe à néant sur une ou deux balles du troisième set alors que Big John avait remporté les deux premiers, les deux plus sublimes de l’histoire du jeu… Lendl, lui, le savait. Il s’est senti obligé de transmettre son secret à quelqu’un. Pas trop fort.

Murray a juste capté ce moment magique de son nouveau mentor, en a tiré une substantifique onde de victoire. Et a lui aussi gagné. Enfin. Après, comme Ivan, quatre échecs en finale de Grand Chelem. Avec sans ou peu de paroles.

Roger Federer et le boson de Higgs…

Les larmes sans fin d’Andy Murray semblaient dire à la foule du Central de Wimbledon : « J’ai eu la terrible malchance d’être battu ici devant vous, mais la chance de ma vie c’est d’avoir eu l’honneur de jouer contre cet homme-là… » L’homme en question est suisse, riche et joueur de tennis, le meilleur que l’humanité ait enfanté.

Avec Roger Federer, tout est assez simple, comme de pousser une balle au-dessus d’un filet. On tape dans un objet qui se dirige toujours où on le veut, ou presque. Et si l’adversaire vous met des bâtons dans les roues, comme l’Écossais dans cette finale 2012 du plus prestigieux tournoi de la planète, on invente un nouveau procédé de jeu, comme Lavoisier sortait des nouvelles propriétés chimiques de ses éprouvettes.

A l’image de ce coup droit, tamis complètement ouvert, qui vient mourir dans une zone de gazon derrière le filet jamais touchée par quiconque. Ou comme ce lob du cinquième jeu, le plus long de l’histoire à Londres, du quatrième set, qui hantera longtemps les songes du grand échalas scottish et d’un public aussi énamouré qu’ébahi.

Pitié, Roger, dites-nous comment réussir une seule fois un coup droit comme celui-là…

Tiens, puisque l’on parle sciences, on connait encore mal ce qui génère dans le corps tant de perfection dans les gestes, les réflexes et la coordination de l’homme. On vient de découvrir le bozon de Higgs, cette particule élémentaire qui, paraît-il, serait la clé de la physique et de l’univers. Il serait temps de prévenir les savants qu’un élément plus fondamental encore existe sur les courts depuis des années. Et qu’on l’étudie d’un peu plus près… Parce que, c’est évident, Federer exerce sur une raquette des forces passablement mystérieuses, tout du moins inexpliquées jusqu’à présent.

Roger, par pitié, confiez-vous à nous. On ne le répétera pas, votre secret, c’est juré. Ne nous dites même pas comment remporter Wimbledon sept fois ou redevenir numéro 1 mondial… Dites-nous juste comment réussir, une fois, une petite fois seulement, un coup droit comme ça. Et on mourra tranquille, boson ou pas…

Gasquet dans les mâchoires de Murray

A s’en arracher les cheveux, à s’en mordre les doigts, à en pleurer de rage.Pendant deux sets et demi, Richard Gasquet a joué le feu, a fait hurler de dépit et de dégoût Andy Murray. Des services de Playstation, des retours de coup droit aimantés par les lignes, et des revers… Des revers de rêve, les amis… A en faire pâlir de jalousie Roger Federer, Alex Corretja et Cédric Pioline réunis.Avec ce revers, j’ai vraiment cru qu’il allait gagner, Richard. Et en trois sets. Il avait tout donné, tout risqué, tout fait. C’était un beau, très beau spectacle. Le public du Suzanne-Lenglen en rugissait de bonheur. Comme au temps où Henri Leconte sortait de son bras gauche des coups insensés, venus de nulle part, ne figurant dans aucun des manuels du tennis.

Deux sets à zéro, un break… C’était fait. En face, Murray grimaçait, s’invectivait. Se flagellait même avec sa raquette. On en oubliait à cet instant que Gasquet venait de disputer, et gagner, dix matches en onze jours. Qu’il était sans doute à la limite. Que derrière ses prouesses se cachait un corps à la limite de la casse. Que les forces jetées en finale de Nice quarante-huit heures plus tôt pour renverser Fernando Verdasco en finale étaient de trop pour croire à un nouveau miracle.

Il y a dans des rencontres comme celle-là, entre des champions au talent si exacerbé mais parfois si fragile, un petit espace de temps pendant lequel tout peut basculer. Où la tête rappelle tout d’un coup à un bras ou à une jambe des douleurs oubliées. Comme une goutte de sang repérée dans l’océan à des kilomètres par un requin, le mal est immédiatement décelé quelques mètres de l’autre côté du filet. Il n’y a plus un adversaire, il y a une proie…Murray est un squale. Sans pitié. Et sa pitance est maintenant à portée de mâchoire. Gasquet est blessé, plus d’hésitation. D’autant que le scénario de Wimbledon 2008 est bien ancré dans un coin de sa tête. Le même, exactement, deux manches et un break pour l’autre, et une blessure qui se réveille… Que la bête meure…