Federer, enfin parfait !

federer-home_w484

En reprenant Bossuet et en en changeant un peu l’objet de son oraison, on pourra dire au sujet de Roger Federer au crépuscule de sa carrière que  » la seule simplicité d’un récit fidèle pourrait soutenir sa gloire « .

 

L’éloquent orateur du siècle de Louis XIV n’aurait pu mieux parler de celui dont depuis plus d’une décennie on qualifie de plus grand joueur de tennis de tous les temps. Mais dont on attendait paradoxalement une sorte de preuve définitive, absolue, éternelle de ce titre un peu pompeux et médiatique.

 

La preuve est faite en ce 29 janvier 2017 où, désormais à partir de cette date, il suffira de revoir le triomphe à Melbourne, après ses dix-sept précédents Grands Chelems, du plus fameux des originaires de la Confédération Helvétique.

 

Roger Federer a vaincu Rafaël Nadal mais a surtout surpassé son propre talent que chacun tenait déjà pour le plus grandiose de l’histoire. Encore fallait-il que ce Suisse, passé de garnement doué dans sa jeunesse dorée au génial maestro des années de maturation, impose enfin, s’impose enfin comme un génie au mental en roc et à la stratégie d’un Jules César ou d’un Clausewitz. Il y avait auparavant toujours eu un Nadal, un Djokovic, un Del Potro ou quelques autres très inspirés rivaux, pour instiller un doute ultime sur sa capacité à contourner ses obstinations.

 

Cette fois, Federer, à 35 ans, et au quasi-terme d’une carrière unique, a sans doute surtout vaincu son entêtement à vouloir, par exemple, rivaliser avec le coup droit de Nadal, qui l’avait détruit des années durant à Roland-Garros et même en 2009 à Wimbledon, où il régnait en dieu.

 

Dieu, il ne l’est pas bien entendu, mais immense, inégalable et inoubliable, oui. Et exemplaire sans contestation puisque les grands hommes savent mieux que les autres qu’il y a toujours mieux à faire. Mieux que Federer…

Il n’y a rien de nouveau sur l’Olympe

Du haut de ses trois mille ans, l’Olympe vous contemple aurait dit Napoléon à ses vaillants combattants du sport.

Les Jeux ont-ils changé depuis les exploits légendaires de Milon de Crotone et Leonidas de Rhodes ? Pas tant que ça. C’est encore et toujours un morceau de gloire auquel les athlètes font une cour endiablée.

Que nous, pauvres hommes, ayons désormais marché sur une lune devenue si proche, ou que la terre soit devenue si petite alors qu’Aristote le Grec la voyait si grande, n’a rien révolutionné ou presque de nos étroites perceptions. La vue des humains est, malgré Blaise Pascal et son observation sans télescope électronique des deux infinis, toujours aussi courte.

Aux odes sublimes de Homère et Pindare ont seulement succédé les louanges criardes de peuples amourés de sportifs que le soleil des podiums entêtent à approcher.

Peu importe le flacon, pourvu qu’ils aient l’ivresse, tant qu’ils soient, spectateurs, téléspectateurs, internautes, commentateurs, politiciens.

Hier à Rio, les Jeux ont continué leur course. Sans répit ni philosophie grecque ou esprit Coubertinien. On a sifflé Renaud Lavillenie dans un stade qui ne comprenait d’évidence pas, parce que son patriotisme mal placé l’avait amené jusqu’au chauvinisme le plus imbécile, que le sport puisse être le plus noble des spectacles, c’est à dire une lutte sans merci mais juste ou « bêtement » morale.

Et le Français n’a sans doute pas lui non plus compris qu’être grand signifie courir ou plutôt sauter vers la quête de la sagesse. Le recordman du monde du saut à la perche aurait du accepter qu’un adversaire l’ait battu, quels que soient les éléments contraires. Comme son collègue Pierre-Ambroise Bosse, à la réaction bien plus altière face à la défaite.

Dans la baie magique de Rio, la nageuse Aurélie Muller a aussi manqué à l’âme olympique en mettant la tête sous l’eau de sa concurrente italienne sous le mur d’arrivée du 10 km en eau libre. Et nos chantres médiatiques ont bien entendu entonné l’hymne si radoteur et pénible d’une prétendue injustice contre la nation. Disqualifier un athlète tricolore serait un crime contre Marianne. Et donner la parole à Philippe Lucas, l’entraîneur de la Française, sans même critiquer ses propos (« c’est un sport où on se donne des claques, alors une petite tape sur la tête… »), laisse sans voix.

Écoutons celle de Victor-Hugo qui, lui, aperçoit les marques des temps : « les temps primitifs sont lyriques, les temps antiques sont épiques, les temps modernes sont dramatiques. »

 

 

La folle journée française

C’est sans doute la plus dingue journée de l’histoire olympique française. Une journée de ouf comme on dit dans toutes les cours d’école.

Il ne s’était rien passé ou presque depuis l’ouverture des Jeux côté français. La moiteur brésilienne sans doute ou bien une nonchalance typiquement gauloise, ou même un sentiment très français de se faire passer les médailles autour du cou avant de les avoir gagnées…

Lacourt plonge dans le marigot

Et puis, ce mardi, tout a explosé un peu partout. La délégation française a pris un coup de chaud et la fièvre est montée tout au long de la journée. A la piscine, les propos chuchotés pendant la nuit aux radios par Camille Lacourt sur le dopage des Chinois et des Russes, relayés par le phénix des bassins Michael Phelps, ont enflé puis enflammé le monde de la natation et du sport tout entier déjà bien écorné par les scandale récents des athlètes russes et autres sportifs chargés de stupéfiants comme des mules.

Tout d’un coup, les médailles pleuvent

Après cet embrasement médiatique facilité jusque là par le rachitisme de nos places sur les podiums, ces derniers ont vu nos représentants les envahir en quelques heures. Une médaille d’or et une d’argent en cent vingt minutes au concours complet, discipline dont on parle moins en quatre ans sur les chaînes d’info que pour un seul entraînement hivernal du PSG.

Dans le bassin d’eau de vitesse, à peine un enchaînement de Laurent Luyat plus tard, le céiste (pour l’épreuve de C1) Denis Gargaud Chanut, connu de sa famille et de son chien, a succédé au légendaire Tony Estanguet, dont le troisième titre à Londres en 2012 dans cette même épreuve avait permis aux commentateurs sportifs français de ne plus confondre qu’une fois sur deux le slalom monoplace avec l’aviron.

Et en début de soirée, une quatrième puis une cinquième médaille, à l’escrime (Gauthier Grumier) et au judo (Clarisse Agbegnenou), tombaient dans notre escarcelle. On pouvait enfin regarder sans rougir de honte le si sérieux tableau des médailles où nous étions la veille surclassés par vingt-six nations, dont le Vietnam, Taïwan et le Kosovo. Ne manquaient plus à ce rythme que Monaco et le Vatican…

Agnel visé, Paire perd et sort

Pour clore cette journée de malade, on apprenait que c’était Yannick Agnel qui l’était. Le champion olympique du 200 m de Londres avait déjà annoncé sa retraite après ces Jeux où il avait quasiment coulé deux jours auparavant sur l’épreuve qui l’avait sacré, mais promis qu’il participerait au relais 4 x 200 m et viser une médaille d’équipe.

Mais patatras, le grand Yannick déclarait forfait dans la nuit de lundi à mardi et le staff tricolore avait du réveiller son remplaçant Damien Joly, qui se préparait pour le… 1500 m, pour qu’il se rase et s’apprête à nager douze heures plus tard. Résultat, notre relais complètement déstabilisé par une nuit d’agitation et de doute, s’est littéralement noyé dans la piscine.

Le jeune et prometteur Jordan Pothain a alors confié au micro de notre Nelson Montfort national et international qu’Agnel les avait « abandonnés ». Sidéré d’un tel crime de lèse-majesté, même proféré si poliment, Nelson s’en est pratiquement étranglé, interrogeant à nouveau le jeune impétrant rebelle, qui lui confirmait ce sentiment de trahison. Dans la nuit, Agnel se fendait d’un déni lors d’une conférence de presse solitaire. Ambiance…

En fin de soirée, cette ambiance pourtant généralement si feutrée au club France se plombait d’une seconde affaire en une demi-journée. Benoît Paire était officiellement sommé de ranger ses raquettes et shorts, faire sa valise illico et quitter le QG de l’équipe de France. Pour « nombreux manquements aux règles de vie » (« On le l’a pas vu à Rio, ou quasiment pas… ») selon Arnaud Di Pasquale, le DTN. Une première dans l’histoire de l’olympisme français. Le fantasque joueur, d’ailleurs plutôt satisfait et soulagé de s’en aller, venait de se faire éliminer par l’Italien non moins fantasque Fabio Fognini, après un match où aucun membre du staff de l’équipe de France de tennis ne s’était déplacé.

Cinq médailles, un pavé dans la mare et deux beaux scandales, la France est enfin la France à Rio.

 

Si tu vas à Rio…

Si tu vas à Rio… n’oublie pas de faire un retour en arrière ! Depuis 1896, c’est la 29e édition des Jeux olympiques de l’ère moderne. Personne ne sait d’ailleurs s’il faut orthographier avec des minuscules ou pas cet événement majuscule de notre époque.

Personne ne se penche trop non plus sur ce que représente une olympiade, qui est en réalité une période de quatre ans qui encadre le début des épreuves olympiques dans une ville et celui de la suivante.

Chacun sait en revanche que c’est le baron de Coubertin qui a repensé, réinventé, réaménagé les anciens Jeux, ceux de l’Antiquité en Grèce. Malin, le Pierre Français. Mais jamais reconnu de son vivant à la hauteur de gloire de son entreprise gigantesque. Sans doute la plus gigantesque depuis les légendaires travaux d’Hercule-Héraclès qui auraient inspiré justement ces jeux antiques en leur donnant avec son pied une unité de longueur de stade.

Géants ces Jeux, parce qu’ils aimantent davantage que tout autre événement sur notre belle et hideuse planète. Ils résistent à tout et à tout le monde, sont chaque fois plus populaires et suivis, suscitent toujours davantage de ferveur et de folie.

Au Brésil, chaque pays présent tirera les émotions qu’il souhaite en tirer. Depuis les Jeux de Barcelone, plus aucune chaîne de télévision qui en détient les droits ne diffuse les mêmes images que ses concurrentes. Les Jeux sont devenus un immense gâteau dont on goûte les parts ici et là. Un match de poule de hockey sur gazon électrisera cent millions d’Indiens, on n’en verra pas une seconde en direct à Paris ou à Kinshasa.

Les Jeux rénovés devaient être selon Coubertin un rassemblement de la jeunesse du monde, destiné à la fortifier, à l’éduquer, à la ramener à la Raison du siècle des Lumières. Ils sont aujourd’hui un symbole que toutes les autres couches de la population mondiale s’approprient, utilisent, déforment et exploitent le plus souvent.

Quand on organise les Jeux, on doit les cuire à sa sauce mais aussi et surtout à celles du temps, la plus goûteuse du moment étant celle de l’environnement.

Rio, comme Pékin, a mis le paquet afin de montrer des Jeux propres, écologiques. Dès sa nomination pour cette XXXIe olympiade (il n’y a pas eu de Jeux à trois reprises en raison des guerres mondiales, donc 3 ôté de 31 égale 28, cf. plus haut), la ville a promis et juré que ces Jeux seraient verts. Comme à Pékin, ce sera un festival de pollution autour et en dessous des bras ouverts du Christ de Corcovado.

Mais, et c’est leur force inouïe, on ne rapetisse jamais les Jeux. Plus l’éclat des anneaux brille, plus il aveugle. On s’est esbaudi à Londres il y a quatre ans et à Pékin il y a huit ans, on apprend aujourd’hui qu’il y avait 98 athlètes dopés en Angleterre et en Chine.

Mieux, la Russie a instauré pour ses athlètes en 2014 à Sotchi lors de ses Jeux d’hiver un système de dopage et de dissimulation de ce dopage. On remettait aux contrôleurs des échantillon de sportifs sains ! Le CIO a mis trois ans à découvrir l’escroquerie. Les lunettes de l’organisme olympique suprême n’ont jamais été très bien adaptées sur les nez de présidents d’ailleurs étrangement atteints de myopie, presbytie, daltonisme et autres graves problèmes oculaires…

Le XXIe siècle sera olympique ou pas, aurait pu dire Malraux. Pour Paris 2024, mais c’est une autre histoire, l’essentiel sera de participer… victorieusement.

 

 

Bras et droits d’honneur

« C’est un peu court jeune homme »…

Cyrano n’est pas Pogba et vice et versa. Dans la ligne droite des comportements aussi niais que stupides de nos petits héros du football, il s’est encore produit ce mercredi d’Euro 2016 et de France-Albanie une scène digne de notre théâtre tragi-médiatico-comique du 21e siècle sportif.

L’affaire, c’en est une nouvelle, fait grand bruit. L’idole des jeunes footballeurs en herbe et des coiffeurs en vogue s’est autorisé pour célébrer sa joie et son soulagement du but de la victoire, inscrit par Dimitri Payet (2-0), de recouvrir par sa main gauche, en pleine course et le visage rageur, le biceps de son bras droit plié et relevé.

 

La capture d’écran du geste controversé, provenant du circuit intérieur de l’UEFA et extraite d’une video provenant d’une caméra isolée, a seulement été publiée le lendemain.

Ni une ni deux, le petit monde de la grande presse du 2.0 puis celle, en désuétude du papier, sont montés sur leur grands chevaux. A justes gros titres puisque les souvenirs des grossiers sieurs Dugarry, Anelka (dont la réaction sur l’affaire Pogba ajoute encore à son sens aigu de l’analyse de l’évolution du monde !) ou Nasri, entre quelques autres, leur revenaient en pleine surface.

Un peu courtes donc, ensuite, les explications de l’intéressé qui s’est justifié en précisant par communiqué qu’il n’avait fait qu’exécuter à l’adresse de ses parents et amis en tribune un mouvement de danse et de sarabande dont il serait un habitué. Et pourquoi pas un majeur tendu vers le ciel qui aurait signifié qu’il s’était cassé un ongle…

Soit, décrypter n’est pas si simple. D’ailleurs la chaîne cryptée BeinSport, propriétaire des droits de l’épreuve et par là-même gardienne de l’image positive des Bleus et de la bienséance, a parfaitement brouillé elle aussi son message, sommant par mail ses salariés de ne pas diffuser les images du garnement. La RTBF, neutre, s’est, elle, fait une joie de le faire et d’exhumer le document gênant.

Video bras d’honneur Pogba

Même si l’on n’est pas un expert des danses modernes, il ne faudrait pas prendre tous les observateurs pour des bigleux décérébrés. Paul Pogba danse mieux qu’eux, c’est certain, mais il sait mieux aussi qu’il venait de faire l’objet d’une campagne certes pas non plus subtile visant ses performances récentes en Bleu peu en rapport avec son talent, et que sa place sur le banc au début du match l’avait très vraisemblablement vexé au plus profond de lui-même. Plutôt que de réagir avec ses pieds, c’est à cette presse, éternelle et commode coupable, que le Turinois a très manifestement exprimé de ses bras son ressentiment.

Il apparaît donc, comme le nez immense au milieu de la figure de Cyrano, que le boniment du parfois génial Pogba est flagrant. Et que – vain souhait sans doute – l’Histoire, y compris celle du football, devrait être apprise et retenue surtout par les footballeurs. On ne parle point même de littérature mais, en citant encore la fin de la tirade du héros d’Edmond Rostand, on peut qualifier le conte de la nouvelle brebis égarée :  « sot ! »