Qui est-il ? Je crois modestement avoir tout vu, tout entendu, tout lu sur Cassius Marcellus Clay Jr et je ne le connais pas vraiment mieux. Et lui, se connaît-il, le gamin de Louisville au nom d’esclave, devenu plus ou moins par sa volonté Muhammad Ali au lendemain de sa reconnaissance en tant que meilleur boxeur du monde en 1964, et aujourd’hui fêté sans doute contre son gré pour ses soixante-dix ans de vie sur une terre où ce symbole unique de vitalité traîne malheureusement un corps affreusement affaibli par la maladie ?
Ali est aphasique ou presque depuis des années et ne pourra plus dire ce que l’on aurait voulu -que j’aurais voulu – savoir sur lui. Le fond de sa pensée, la vérité sur ses actes, plus sans doute que sur sa carrière de champion, exceptionnelle pourtant, surnaturelle selon beaucoup… Dommage, même si l’humanité s’est souvent contentée de légende(s). De légendes, justement, Ali s’en est couvert et recouvert, se confondant avec elle. Jamais jusqu’à lui, un sportif n’avait sans doute senti cette capacité à impressionner le public, en bien ou en mal, à stupéfier adversaires, observateurs et au-delà même les puissants de ce monde, y compris les intellectuels.
Muhammad Ali ne nous confiera jamais si il a été par exemple manipulé par ses premiers et quelque peu véreux sponsors de Louisville, par Malcolm X, par Elijah Muhammad et les Black Muslims, qui l’ont pourtant utilisé sans scrupules dès ses débuts comme une proue de leurs très douteuses visées et bien sûr pillé de ses fabuleux gains.
Dans son autobiographie, trop tôt écrite (« The Greatest« , 1976), il ne s’est pas allongé sur le divan, se confinant à quelques anecdotes sur sa vie privée ou sportive. De la part d’un personnage aussi iconique, délirant, fantasmatique, on a longtemps attendu qu’il fende l’armure, qu’il se justifie pourquoi pas. Où qu’il s’exprime franchement, sans détour, à la manière de ses célèbres saillies sur ou autour des rings et souvent empreintes d’une méchanceté féroce (comme envers Joe Frazier ou George Foreman) mais au moins teintées d’authenticité. Bref, que le monde entrevoit le fond de son âme…
L’image de Muhammad Ali, plus forte que ses poings et sa gueule !
Non, Cassius Clay-Muhammad Ali n’a pas fait son introspection, au sens de Rousseau ou Montaigne, si l’on peut pousser à de telles comparaisons… Il n’a pas « formé cette entreprise qui n’eut jamais d’exemple, de montrer un homme dans toute la vérité de la nature », comme disait Jean-Jacques ! Il a certainement considéré, très vite après avoir été atteint du syndrome de Parkinson, que cela était inutile. Qu’il lui était plus profitable d’employer son incomparable image (et incomparable outil en regard des siècles précédents) à des entreprises humanitaires, caritatives, toujours évidemment centrées sur ses croyances, religieuses ou sociales.
Avec donc un même parti-pris mais avec un ton moins guerrier, ne s’attirant même pas de haines quand il rendit visite à Saddam Hussein, le diable en personne. Ali a endossé une toge de Samaritain et empoigné une canne de prophète. Avec succès, forgeant davantage et superbement sa légende, comme il l’a toujours fait, comme les héros la font, l’entretiennent et la font graver par d’autres.
Finalement, Ali a raison, contre tout le monde et contre moi. Le silence est d’or…