Bien sûr, il ne court pas encore aussi vite que le dieu des dieux du sprint du vingtième siècle, mais Christophe Lemaitre a un peu de la grâce de Carl Lewis. Comme King Carl, le nouveau champion d’Europe possède le don inné de l’accélération. On l’avait vu dominer les séries sans véritable opposition, et l’on craignait qu’il ne craque en finale.C’était oublier que le gamin imberbe d’Aix-les-Bains est aussi un battant. En 1991, Lewis avait remporté le plus beau cent mètres de l’histoire aux championnats du monde de Tokyo, également après un départ calamiteux. Et puis l’aigle s’était envolé, déployant ses ailes à la mi-course pour avaler tous ses rivaux. L’impression laissée par l’homme aux neuf médailles d’or olympiques avait été fabuleuse. Une perfection mécanique et esthétique. Les spécialistes informatiques de l’athlétisme s’étaient penchés sur les cinquante derniers mètres de Lewis, et en avaient conclu qu’un chronomètre n’avait jamais enregistré une si grande vitesse d’un être humain à l’aide de ses seules jambes.Ce mercredi, Lemaitre est lui aussi sorti de ses starts comme un véritable diesel. Mais le nouveau petit génie européen de la ligne droite a prouvé qu’il avait la tête bien accrochée sur son buste. Il n’a pas paniqué, a commencé à faire tourner ses longues et fines bielles, qui ont trouvé la carburation idéale à la mi-course. Une sorte de Carl Lewis blanc. Irrésistible.Evidemment, Lemaitre est encore assez loin des temps d’Usain Bolt, de Tyson Gay ou Asafa Powell. Mais il ne cesse de progresser. Il est même le seul au monde, peut-être, à améliorer mois après mois ses temps et surtout sa technique. Et, enfin, le garçon a du talent. Plus que cela, il a de la moelle. Et encore plus, du style. Un style qui porte, comme celle de celui dont il a les mêmes initiales, Carl Lewis, une marque. Celle des grands.